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Grâce aux données massives, l’IA pourrait permettre d'estimer les risques de développer une maladie au cours de sa vie en se basant sur de des centaines de facteurs de risque. (Shutterstock)

Alexandre Castonguay, HEC Montréal; Cécile Petitgand, Université de Montréal, and Guy Paré, HEC Montréal

Le Canada est un chef de file dans le domaine de la recherche et de la formation en intelligence artificielle (IA). Il accuse cependant un retard sur la scène mondiale dans l’adoption de politiques favorisant l’implantation de l’IA dans les organisations, en particulier celles du secteur de la santé.

En 2017, le Canadian Institute for Advanced Research (CIFAR) a été mandaté pour mettre au point et piloter la Stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle (IA), financée à hauteur de 125 millions de dollars. En 2021, le gouvernement fédéral a annoncé que le financement de cette stratégie nationale serait bonifié de 443,8 millions de dollars au cours de la prochaine décennie.

La stratégie pancanadienne vise à promouvoir la recherche et la formation en matière d’IA et ainsi accélérer son développement. Elle fut la première du genre au monde. Trois instituts de recherche en IA ont ensuite vu le jour et se sont rapidement imposés comme des références mondiales : l’Institut québécois d’intelligence artificielle Mila au Québec, le Vector Institute en Ontario, et le Alberta Machine Intelligence Institute (Amii) en Alberta.

Contrairement aux stratégies des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Finlande, qui accordent une place importante aux défis d’implantation de l’IA dans les organisations publiques ou privées, la stratégie pancanadienne met surtout l’accent sur la coordination des efforts en matière de recherche et de formation.

En tant que spécialistes des enjeux et retombées liés à la transformation numérique en santé, nous considérons que des efforts substantiels et soutenus doivent être faits afin d’accélérer le déploiement réussi de solutions d’IA dans les établissements de santé au Canada. Ainsi, le Canada pourra aspirer à bonifier sa position sur la scène internationale quant à la performance de son système de santé, laquelle est actuellement l’une des moins enviables des pays membres de l’OCDE.

Classement de différents pays selon la performance de leur système de santé

Le Canada dépense plus en soins de santé que la majorité des pays de l’OCDE à revenu élevé dotés d’un système de soins de santé universel. Pourtant, il affiche l’une des pires performances. (Institut Fraser)

Des solutions pour le secteur de la santé

En considérant le manque de personnel soignant au Canada, en plus des enjeux entourant la gestion des soins de santé d’une population vieillissante, l’importance d’améliorer l’efficacité du système de santé canadien apparaît comme une nécessité. À cet égard, l’IA, propulsée par la recherche et des développements technologiques récents, constitue aujourd’hui un levier incontournable pour faire face à ces enjeux. Cependant, le processus de déploiement menant à une IA perçue comme utile et performante est souvent semé d’embûches. Les hôpitaux et cliniques médicales à travers le pays ont besoin d’un accompagnement soutenu qui va bien au-delà du développement de solutions technologiques.

Les cliniciens, chercheurs et experts en santé fondent beaucoup d’espoir sur l’IA, qui, grâce au croisement des données massives, pourrait aider à prévenir plusieurs maladies. En effet, l’ajout de certaines variables permet d’obtenir des bases de données plus complètes et ainsi d’offrir des estimations plus précises. Par exemple, un outil d’aide au diagnostic utilisant l’IA pourrait permettre d’estimer les risques pour un individu de développer une maladie au cours de sa vie en se basant sur des centaines de facteurs de risque et non seulement sur les habitudes de vie et l’âge du patient. La réalisation de ces promesses associées à l’IA demeure toutefois assujettie à un certain nombre de mesures facilitantes.

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Dans son rapport publié en 2020, le Groupe de travail sur l’IA au service de la santé du CIFAR, AI4Health, recommande l’élaboration d’une stratégie nationale d’IA propre au secteur de la santé. Cette stratégie comprendrait des politiques, des investissements ciblés, des partenariats entre cliniciens, chercheurs et industriels, ainsi que des cadres réglementaires favorables au développement responsable de l’IA au Canada.

AI4Health appelle également les autorités gouvernementales canadiennes à mettre en place une « infostructure » (une infrastructure soutenant les systèmes d’information) nationale facilitant l’accès sécurisé aux données massives de santé. Selon ce même groupe d’experts, ne pas saisir cette occasion en lien avec le développement responsable et coordonné de l’IA « pourrait nuire à la qualité et à l’efficacité de nos systèmes de santé, à la santé de nos collectivités et à la prospérité de la nation ».

Pour l’instant, en santé comme dans d’autres secteurs, la stratégie pancanadienne en matière d’IA et les recommandations d’AI4Health misent d’abord sur le développement rapide de nouvelles solutions technologiques. Bien que cette orientation stratégique ait porté ses fruits en matière de rayonnement international, les prochains efforts devront aller au-delà du seul développement technologique. Trop peu de ressources sont actuellement consacrées à coordonner le déploiement de solutions d’IA au sein de nos établissements de santé. Cela est d’autant plus préoccupant qu’une vaste majorité des projets d’implantation d’IA dans les organisations échouent selon un récent rapport.

Des modèles à suivre

Le déploiement de l’IA constitue un défi de taille dans toute organisation en raison des nombreuses barrières qui caractérisent ce processus complexe. La recherche révèle quant à elle plusieurs enjeux et défis associés à la qualité et à la sécurité des données, à la capacité des systèmes informatiques à échanger des données, au manque d’expertise locale en matière d’IA et à la résistance au changement technologique des cliniciens.

Certaines initiatives à l’échelle internationale pourraient inspirer une stratégie nationale d’IA en santé au Canada. Cette dernière étant essentielle afin de coordonner les efforts en matière d’élaboration, mais aussi de déploiement des solutions d’IA au sein de notre système de santé.

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Afin de relever ces défis, les États-Unis ont créé en 2017 un centre d’excellence pour soutenir les projets d’IA au sein de ministères et d’organismes gouvernementaux. Les services offerts concernent entre autres l’analyse des besoins, le choix approprié des solutions d’IA, l’analyse des impacts et le soutien à l’implantation de l’IA.

Une mission similaire est confiée au laboratoire d’IA qui fut mis sur pied au Royaume-Uni en 2019. Ce laboratoire a comme principal mandat d’aider les porteurs de projets d’IA sur le terrain. Professionnels de la santé, gestionnaires et concepteurs sont ainsi soutenus pour faire face aux défis propres à l’implantation de l’IA. Précisément, ce laboratoire vise à accélérer l’adoption des solutions d’IA les plus prometteuses. Il fournit des conseils en matière d’implantation et aide à clarifier les cadres réglementaires et éthiques liés à l’IA. Le but étant que les applications puissent être déployées rapidement et de façon sécuritaire.

La création d’un tel centre d’excellence serait un atout inestimable pour le Canada. Il pourrait coordonner le déploiement de la stratégie nationale d’IA en santé au sein des provinces et territoires. Il pourrait également fournir des services-conseils aux équipes responsables de déployer l’IA dans leurs milieux. Afin de maximiser sa portée et ses contributions, ce centre d’excellence serait appelé à collaborer avec les dirigeants des trois instituts de recherche (MILA, Vector Institute et AMII). Des liens avec les législateurs responsables de la réglementation sur la protection et le partage des renseignements personnels seraient également bénéfiques.

Les promesses associées à l’IA sont nombreuses et les attentes sont élevées dans tous les domaines. L’avenir de l’IA en santé au Canada nous semble fort prometteur. Cependant, l’ampleur de son succès demeure conditionnelle à l’élaboration d’une stratégie nationale. La mise sur pied d’un centre national d’excellence contribuerait particulièrement à une implantation réussie en santé. Il importe ainsi pour le Canada d’investir, oui en recherche et développement, mais également pour soutenir l’implantation de l’IA dans son propre système de santé.

The Conversation

Alexandre Castonguay, Stagiaire postdoctoral pour la Chaire de recherche en santé connectée, HEC Montréal; Cécile Petitgand, Coordonnatrice de l’initiative d’accès aux données de la Table nationale des directeurs de la recherche du Ministère de la santé et des services sociaux (MSSS), Université de Montréal, and Guy Paré, Titulaire de la chaire de recherche en santé connectée, HEC Montréal

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« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.

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