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La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d'annulation de la tarification nationale du carbone. La Presse Canadienne/Adrian Wyld

Nathalie Chalifour, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa and David Robitaille, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

La Cour suprême du Canada vient de rappeler aux Canadiennes et aux Canadiens que les changements climatiques constituent une menace pour l’avenir de l’humanité et ne peuvent plus être ignorés.

Le 25 mars, la Cour a établi que le régime de tarification fédéral du carbone est constitutionnel, lui donnant le feu vert pour s’assurer que chaque province fixe un prix minimum sérieux sur le carbone — un élément clé de l’effort national pour lutter contre le changement climatique.

La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre est entrée en vigueur en 2018 et constitue un pilier central de la stratégie du gouvernement fédéral en matière de changements climatiques. Mais plusieurs provinces — dont l’Alberta, l’Ontario et la Saskatchewan —, se sont farouchement opposées à la tarification du carbone, plaidant que le contrôle des ressources naturelles, y compris la réglementation des émissions de gaz à effet de serre, relève exclusivement des compétences provinciales en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867.

Par une majorité de 6 contre 3, la Cour suprême a jugé que les changements climatiques ne connaissent pas de frontières ce qui, notamment, justifie le pouvoir du Parlement d’adopter des lois en vue d’assurer la « la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », un pouvoir connu comme « la clause POBG ».

En tant qu’avocate et avocat spécialisé·e·s en droit de l’environnement et en droit constitutionnel, trois points principaux ressortent selon nous de la décision de la Cour suprême : la reconnaissance de la gravité du changement climatique pour les Canadiennes et les Canadiens ; la validation d’une loi fédérale visant à limiter les préjudices bien réels que l’inaction provinciale peut causer à l’ensemble du pays en ce qui concerne les GES ; et l’utilisation prudente et équilibrée de la clause POBG par le Parlement.

Bien que cette décision mette fin à une lutte juridique de trois ans à propos de la constitutionnalité de la tarification nationale du carbone, la question devient maintenant un enjeu politique qu’il appartiendra aux citoyennes et aux citoyens de décider lors de la prochaine élection fédérale.

La tarification comme filet de sécurité

La loi agit comme un filet de sécurité, en mettant en place une tarification minimale du carbone qui s’applique uniquement dans les provinces ou territoires qui ne disposent pas de mécanismes équivalents. Le prix du carbone est actuellement fixé à 30 dollars par tonne, et passera à 50 dollars en 2022 et à 170 dollars en 2030.

La Saskatchewan, l’Ontario et l’Alberta ont chacune contesté la constitutionnalité de la loi. Selon ces provinces, le Parlement ne disposait pas du pouvoir constitutionnel d’établir des normes nationales dans un domaine, plaidait-on, de compétence provinciale exclusive.

Les Cours d’appel de la Saskatchewan et de l’Ontario ont jugé la loi valide, tandis que la Cour d’appel de l’Alberta l’a déclaré inconstitutionnelle.

Doug Ford assis

Le premier ministre de l’Ontario Doug Ford s’adresse à des partisans lors d’un rassemblement contre la taxe sur le carbone à Calgary, le 5 octobre 2018. La Presse canadienne/Jeff McIntosh

En soutien à la validité de la loi, le Procureur général du Canada a souligné le caractère pancanadien et international des GES. Il a fait valoir qu’un filet de sécurité fédéral était nécessaire pour garantir que toutes les provinces fassent leur part.

Ces contestations judiciaires ont abouti à la Cour suprême, où la majorité des juges ont donné raison au Canada et à de nombreux intervenants. Voici trois éléments qui ressortent de la décision.

1. Le changement climatique constitue une menace sérieuse

Écrivant pour la majorité, le juge en chef Richard Wagner a souligné la gravité et la nature existentielle du changement climatique : « Les changements climatiques sont une réalité […] et ils représentent une grave menace pour l’avenir de l’humanité ».

La Cour mentionne notamment les inondations et les feux de forêt, la dégradation des sols et de l’eau ainsi que la fréquence et la gravité accrues des vagues de chaleur.

Le juge Richard Wagner est assis devant des drapeaux canadiens

Le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Richard Wagner, lors de sa conférence de presse annuelle, en juin 2020, à Ottawa. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Elle a également souligné que la crise climatique pose un risque plus important dans l’Arctique et les communautés côtières, menace l’accès à la nourriture et aux modes de vie traditionnels des communautés autochtones et affectera de manière disproportionnée les communautés vulnérables du Canada.

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Cette décision met la table à d’autres litiges, comme ceux intentés en Colombie-britannique et au Québec par des groupes de jeunes qui cherchent à faire reconnaitre leur droit constitutionnel à un climat stable et sûr en vertu des chartes canadienne et québécoise. Le jour où la Cour suprême a rendu sa décision, les jeunes plaignants de l’Ontario dans une autre affaire franchissaient d’ailleurs une étape de plus vers la présentation de leur revendication devant les tribunaux.

2. La tarification du carbone est maintenue

Bien que la compétence législative du Parlement pour lutter contre les changements climatiques n’ait jamais véritablement fait de doute, il était beaucoup moins clair lequel de la clause POBG ou d’autres domaines de compétence fédérale comme la fiscalité ou le droit criminel, constituaient la base d’une action fédérale valide sur le sujet.

La clause POBG est source de controverses depuis plusieurs années. Les tribunaux ont pris soin de ne l’appliquer que dans des circonstances limitées et à l’égard de sujets bien définis, rejetant par exemple la compétence sur un sujet vaste comme la pollution en faveur d’une matière plus précise comme la protection des mers contre la pollution.

En l’espèce, la Cour suprême a choisi la qualification la plus précise parmi celles que les parties et intervenants avaient plaidées dans cette affaire. Selon la Cour, la loi ne vise pas à faire des GES un domaine de compétence fédérale exclusif, mais vise strictement à établir une tarification minimale robuste des GES au Canada, dans les provinces où aucun mécanisme n’existe. Telle est la portée, bien balisée, du pouvoir que le Parlement vient d’acquérir par suite de ce jugement.

Pour en arriver à cette conclusion, la Cour s’est largement fondée sur la science et la preuve que le changement climatique est un enjeu mondial susceptible d’affecter toutes les provinces et territoires, et à propos duquel un manque de coopération interprovincial pourrait exposer l’ensemble du pays à un « préjudice grave » et direct.

3. Le jugement ne constitue pas un chèque en blanc pour le fédéral

La Cour a pris soin de préciser que la décision ne crée pas de précédent permettant au Parlement d’utiliser la clause POBG pour étendre excessivement sa compétence relativement à d’autres enjeux, répondant ainsi à l’avertissement apocalyptique de la Cour d’appel de l’Alberta selon lequel le maintien de la loi ouvrirait la porte à la possibilité pour Ottawa de limiter le chauffage domestique à 16 °C ou d’interdire le bétail, par exemple.

Selon la Cour, la loi respecte l’équilibre essentiel du fédéralisme canadien et laisse largement intactes l’autonomie et la compétence des provinces et ce, pour deux raisons.

Premièrement, le jugement ne vient reconnaitre au Parlement que le pouvoir d’imposer des mesures nationales minimales de tarification des GES au Canada. La Cour refuse de conclure que les GES en général constituent un sujet d’intérêt national relevant exclusivement du Parlement.

Deuxièmement, la loi crée un plancher et un filet de sécurité, ce qui signifie que les provinces peuvent toujours s’attaquer aux changements climatiques, et même adopter des normes plus strictes si elles le souhaitent. En d’autres termes, les GES sont un enjeu de « double aspect » constitutionnel qui permet aux deux niveaux de gouvernement d’agir.

Aller de l’avant

Cette décision envoie donc clairement le message que les changements climatiques sont un problème d’action collective à facettes multiples qui nécessite la coopération des acteurs de tous les niveaux.

La Cour a reconnu que les GES émis par une province ont des répercussions sur les autres provinces et que le Parlement peut légitimement intervenir par une tarification minimale de ces émissions. Il s’agit d’une décision qui souligne le rôle essentiel du Canada dans la lutte internationale pour ralentir les changements climatiques. Il clarifie le fait qu’il y a amplement d’espace dans notre Constitution pour un cadre juridique national bien défini pour lutter contre ces changements.

Les paramètres juridiques de la tarification du carbone sont désormais clairs. Nous espérons que le temps et les ressources pourront maintenant être consacrés à la transition vers une économie propre équitable pour les travailleuses et les travailleurs, et au renforcement de notre résilience face aux perturbations climatiques. Il n’y a plus de temps à perdre avec celles et ceux qui préfèrent se livrer à des jeux politiques en continuant de nier l’existence des changements climatiques.

The Conversation

Nathalie Chalifour, Full Professor, Faculty of Law, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa and David Robitaille, Professeur titulaire (constitutionnel, municipal, environnement, droits humains), L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

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« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres et officiels de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.

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