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NOUS DEVONS AGIR MAINTENANT POUR PRÉVENIR UNE SECONDE VAGUE DE DÉCÈS DANS LES CENTRES DE SOINS DE LONGUE DURÉE 

Carole Estabrooks, Colleen M. Flood et Sharon Straus | 10 juin 2020

Carole Estabrooks est directrice scientifique du programme Translating Research in Elder Care et professeure à la Faculté des sciences infirmières de l'Université de l’Alberta.

Colleen M. Flood est titulaire d’une chaire de recherche de l'Université d’Ottawa et directrice du Centre de droit, éthique et politique de la santé de la même université.

Sharon Straus est professeure au Département de médecine de l'Université de Toronto.

Les personnes décédées de la COVID-19 au Canada sont en majorité des résidents et des préposés de centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). La plupart des décès ont eu lieu au Québec et en Ontario, bien que plusieurs points chauds aient aussi été recensés ailleurs au pays. Jusqu’à maintenant, le Canada affiche la plus forte proportion au monde de décès de résidents de CHSLD liés à la COVID-19, soit 85 pour cent de tous les décès liés à la COVID-19; la majorité de ces décès sont survenus chez des femmes. D’autres pays comparables affichent des ratios très différents : 29 % pour l’Australie, 35 % pour les États-Unis et 54 % pour l’Angleterre et le Pays de Galles. À l’échelle mondiale, le taux de mortalité des personnes atteintes de la COVID-19 a été évalué à 3,4 pour cent. Au Canada, il est de 7 pour cent, mais le taux de mortalité des résidents de CHSLD a atteint 29 pour cent.

Qu’avons-nous appris de ces événements et comment pouvons-nous utiliser ces enseignements pour nous préparer, particulièrement en Ontario et au Québec, en vue de ce qui semble s'annoncer comme une seconde vague inévitable de la COVID-19? Nos décideurs à tous les paliers doivent tirer des leçons de la dévastation dont nous avons été témoins dans les CHSLD et du décès de nos aînés les plus vulnérables, et doivent faire en sorte que ces statistiques accablantes ne se répètent pas. Voici sept ensembles de mesures qui devraient être mises en œuvre.

Premièrement, tous les CHSDL (pas seulement quelques-uns), toutes résidences pour personnes âgées et tous les autres centres d’aide à la vie devraient se doter d’un plan approuvé d’intervention en cas d’épidémie de maladie infectieuse, y compris de COVID-19. Ce plan devrait préciser la personne qui a la responsabilité de prévenir et de maîtriser une éclosion. Cette personne devrait être sur place et le rendement de l’établissement devrait être évalué à l’aide d’indicateurs de rendement clairs et mesurables. L’élaboration du plan devrait notamment s’appuyer sur une consultation des résidents et de leurs familles, et des rapports transparents devraient être présentés au public.

Deuxièmement, des inspections régulières et en personne de tous ces établissements devraient être faites par le service de santé responsable (et non par un organisme d’accréditation) pour s’assurer que les plans sont bien appliqués et que les résidents et les travailleurs sont en sécurité. Il va sans dire que ces inspections ne devraient pas se faire par téléphone et que les CHSLD ne devraient pas être avisés au préalable de la tenue prochaine d’une inspection, pratique qui est pourtant en usage dans certaines provinces. Les résultats des inspections devraient être publiés et toute non-conformité devrait avoir des conséquences.

Troisièmement, les gouvernements provinciaux devraient gérer l’approvisionnement et faire en sorte que les CHSDL soient bien outillés pour lutter contre les infections. Toute personne, préposé ou autre, qui entre en contact direct avec les résidents d’un CHSLD devrait porter un équipement de protection individuelle (ÉPI) approprié. De plus, cette personne devrait avoir une formation appropriée en prévention des infections ainsi qu’un soutien et des cours de formation permanente périodiques relatifs au contrôle des infections et à l’utilisation et à l’entreposage appropriés de l’ÉPI. Aussi, tous les CHSLD devraient adopter et posséder les ressources nécessaires pour mettre en œuvre une stratégie de dépistage et de traçage couvrant tous les résidents et les employés.

Quatrièmement, les préposés des CHSLD devraient être employés à temps plein et bénéficier d’un salaire et d’avantages sociaux équitables, y compris d’un soutien en santé mentale pour la gestion du TSPT, dont plusieurs ont souffert pendant la crise de la COVID-19. De nombreux préposés aux bénéficiaires sont payés au salaire minimum, ce qui est normalement inacceptable, compte tenu de l’importance de ce travail et de l’expertise qu’il exige. Ce salaire est tout simplement ridicule en situation de COVID-19, considérant les risques personnels auxquels les préposés et leurs familles sont exposés. De même, les travailleurs qui fournissent des services essentiels d’alimentation, de nettoyage et de buanderie devraient être rémunérés de manière équitable. Lorsque des militaires ont été déployés dans des CHSLD au Québec et en Ontario, ils ont reçu une prime de risque en plus de leur salaire relativement avantageux.

Cinquièmement, chaque province et territoire devrait poursuivre une politique du « lieu de travail unique » pendant toute la durée de la pandémie et par la suite. Le fait de travailler à deux endroits ou plus a contribué à la propagation de la COVID-19 dans les établissements et hors de ceux-ci et, à d’autres moments, contribue à la propagation de la grippe.

Sixièmement, tous les établissements de soins de longue durée devraient avoir les capacités voulues pour isoler adéquatement une personne atteinte de la COVID-19 ou regrouper les résidents infectés dans une zone de l’établissement réservée à cet effet. Si cela n'est pas possible, le patient devrait être dirigé vers un hôpital ou un établissement approprié où l’isolement des cas positifs serait possible. Aucun hôpital ne devrait rediriger des cas soupçonnés ou confirmés de COVID-19 vers un CHSLD avant que la guérison de la personne ait été confirmée par un test négatif. Les plans de gestion de la COVID-19 devraient également comprendre un accès en cas de besoin à des soins palliatifs, y compris à une médication et à des services de traitement de la douleur appropriés.

Septièmement, les plans d’intervention des CHSLD devraient comprendre des mesures qui font en sorte que les technologies et autres moyens disponibles soient pleinement mis à contribution pour relier les résidents avec leurs familles et leurs amis, et qu’au moins un ou deux membres de la famille puissent les visiter de manière sécuritaire (avec l’ÉPI nécessaire et en respectant les mesures de contrôle qui s’imposent grâce à une formation appropriée). Les résidents sont près de la fin de leur vie; plusieurs souffrent de démence. Les voix, le soutien et le réconfort des personnes qui leur sont familières sont indispensables, et parfois ces nécessités ne peuvent être fournies que par un membre de la famille ou un ami. Nous ne pouvons permettre que des personnes en fin de vie meurent sans soins, que ce soit de la COVID-19 ou pour toute autre raison. Les familles et les amis ont aussi par le passé aidé à faire en sorte que les établissements prennent leurs responsabilités, particulièrement lorsque les résidents étaient trop fragiles pour faire part de leurs préoccupations ou pour se faire entendre. Compte tenu du stress important vécu par les préposés et les gestionnaires au cours de la pandémie de la COVID-19, cette responsabilisation est essentielle.

Ces sept choses doivent survenir et ne sont pas négociables. Les gouvernements provinciaux devraient continuer d’utiliser leurs pouvoirs d’urgence pour surmonter les obstacles à la réalisation de ces objectifs et le gouvernement fédéral devrait contribuer financièrement. Le parcours du Canada relatif en matière de lutte contre la COVID-19 est jonché des corps de nos personnes les plus fragiles et les plus vulnérables, et un trop grand nombre de ces personnes ont été abandonnées à une mort sans dignité et sans soins. Idéalement, les provinces et le gouvernement fédéral travailleront rapidement ensemble au cours des prochaines semaines pour s’entendre sur des normes nationales d’encadrement des CHSLD, qui seraient basées sur les sept ensembles de mesures énumérés ci-dessus. Toutefois, si les provinces ne réussissent pas à se préparer adéquatement, le gouvernement fédéral devrait intervenir. Nos aînés ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel du fédéralisme. Le gouvernement fédéral doit être prêt à utiliser ses pouvoirs d’urgence pour garantir que tous les établissements de soins de longue durée sont prêts à affronter la seconde vague de la COVID-19.

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail du 10 juin 2020.

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