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C’EST L’HEURE DES SOLUTIONS – COMMENT LA SCIENCE PEUT AIDER LES FEMMES ET LES ENFANTS EN SITUATION DE VIOLENCE CONJUGALE

Patricia O’Campo | 11 juin 2020

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Une femme adulte sur trois est victime de violence conjugale et cette statistique tend à augmenter en raison de la pandémie de la COVID-19. Dans les médias, on présente chaque jour des reportages qui relèvent une aggravation des cas violence conjugale (VC) attribuable aux mesures confinement à la maison, l’augmentation du nombre d’appels à l’aide lancés par des enfants et des femmes confinés à la maison avec des partenaires violents, et même une hausse de la fréquence des féminicides. Aucun pays n’est épargné par l’impact de la COVID-19 sur la violence conjugale. 

La pandémie de la COVID-19 a provoqué et exacerbé de multiples crises sanitaires et sociales, notamment celles de la gestion des soins de longue durée, du soutien accordé aux personnes vivant dans la rue pour favoriser la distanciation physique, de la débâcle économique des travailleurs en situation d’emploi précaire et du soutien sanitaire et social fourni aux communautés autochtones. Mais la pandémie a également suscité une abondance de nouvelles solutions. Des politiques et des programmes impensables il y a seulement quelques semaines surgissent maintenant quotidiennement. Pendant que des efforts sont déployés pour amortir la chute de l’économie, des mesures spéciales sont rapidement en train d’être élaborées et mises en œuvre pour atténuer la myriade de préjudices infligés à plusieurs groupes par la COVID. Ces groupes comprennent les étudiants finissants qui perdent des possibilités d’emploi d’été, les personnes qui pourraient perdre leur logement parce qu’elles ne peuvent plus payer leur loyer ou leur hypothèque, celles qui ont besoin de services de santé mentale, les familles avec des enfants et le secteur agricole. 

Les solutions novatrices pour contrer la violence conjugale se font particulièrement attendre. Qu’il s’agisse de revoir et d’améliorer les programmes existants ou de soutenir l’élaboration de nouvelles politiques, une évaluation rigoureuse de ces initiatives doit être faite, en partenariat avec les personnes qui ont vécu de telles expériences. Faire participer les personnes qui ont une expérience directe de la question améliorerait la qualité de la recherche, augmenterait la pertinence des solutions pour la population concernée et renforcerait l’impact des résultats de la recherche. 

La pandémie de la COVID-19 pourrait venir perturber le statu quo qui existe dans ce domaine et conduire à des solutions autrefois impensables. En nous appuyant sur la science des solutions, nous pourrions immédiatement mettre en œuvre un éventail croissant de programmes et de politiques pour soutenir les personnes qui sont exposées à ces risques, pendant que nous continuons d’imposer la pratique du confinement à la maison. 

Les femmes nous répètent régulièrement qu’elles auraient aimé pouvoir déceler plus tôt les signes de violence qui se manifestaient dans leur ménage et ainsi demander de l’aide avant qu’elles et leurs enfants aient à souffrir autant de leur situation. Au moment où elles se rendent compte qu’elles ont besoin d’assistance, il leur manque le courage, les connaissances et le soutien nécessaires pour effectivement demander de l'aide. Donner aux femmes accès à des renseignements sur les préoccupations de sécurité qu’elles ont relativement à leur relation peut se faire suivant divers mécanismes, y compris par le biais de contrôles de routine effectués lors des visites des services de santé et sociaux. Toutefois, des décennies de recherche ont montré qu’offrir aux femmes un environnement sécuritaire pour parler de leur expérience de violence, mobiliser rapidement des ressources pour aider celles qui se livrent, et surmonter, dans le cas des fournisseurs de services, la crainte de poser des questions et d’intervenir après la divulgation d’une situation de violence sont des mesures qui peuvent être extrêmement difficiles à mettre en application. La technologie et de nouvelles applications Web et mobiles pourraient contribuer à vaincre certains de ces obstacles si elles étaient utilisées dans un contexte de soins de santé. Mieux encore, lorsqu’elles sont sûres et publiquement accessibles, les applications Web et mobiles permettraient aux femmes de choisir quant et où elles souhaitent accéder à des informations sur les schémas relationnels dangereux et sur les stratégies qu’elles pourraient utiliser pour planifier leurs mesures de protection. On estime, d’après les données recueillies à l’échelle mondiale, que des applications relatives à la violence conjugale avaient été téléchargées au bas mot plus de 150 millions de fois avant la pandémie de la COVID-19. Cette statistique montre à quel point l’utilisation des technologies Web pour rejoindre les femmes en situation potentielle de violence conjugale est prometteuse et, bien que peu d’applications aient été rigoureusement évaluées, plusieurs applications destinées à des publics canadiens peuvent être considérées comme étant fondées sur des données probantes. 

La plupart des femmes qui fuient une relation de violence vivent à un certain moment quelques mois, voire quelques années, d’itinérance ou de précarité de logement. Pourquoi ne serait-il pas possible d’inverser le modèle actuel, qui consiste à offrir un refuge temporaire aux femmes et aux enfants qui fuient une situation de violence conjugale? On pourrait au lieu de cela leur permettre de demeurer en sécurité dans leur demeure et leur offrir les services et les ressources nécessaires. Il faudra donc plutôt retirer le conjoint violent de leur milieu. Des modèles évalués de type « en sécurité chez soi » existent ou ont été mis en place et améliorés au cours de la pandémie de la COVID-19 dans des pays comme le Royaume-Uni, l’Italie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Avant la pandémie, des discussions avaient été entreprises en vue de concevoir des solutions proprement canadiennes pour l’application du modèle « en sûreté chez soi », mais celles-ci sont encore en cours d’adaptation. Comme la demande de places d’hébergement est en forte hausse et qu’il ne restera peut-être bientôt plus de chambres d’hôtel à réserver pour les femmes qui souhaitent fuir un conjoint violent, il est grand temps de soutenir les programmes pilotes qui permettent aux femmes et à leurs enfants de demeurer en sûreté dans leur demeure et qui exigent que le conjoint déménage. 

Plusieurs initiatives créées en réponse à la crise causée par la pandémie de la COVID-19 représentent des formes de soutien qui peuvent être utilisées par les femmes et les enfants en situation de violence. La mise en ligne financée par l’État des services de santé mentale offre aux femmes et aux enfants qui sont victimes de violence une source de validation, une façon d’alléger leur détresse psychologique et des renseignements sur la planification de la sécurité. Le soutien à court terme du revenu, qui fonctionne passablement comme un revenu de base et qui est offert aux personnes dont le revenu s’est écroulé, s’est révélé efficace pour atténuer la détresse et aider les femmes en situation de violence à mettre en œuvre des mesures de protection. Fournir ce revenu d’appoint directement à la personne, plutôt qu’au ménage, est indispensable pour aider les femmes à reprendre leur vie en main. Le renforcement du soutien financier accordé au secteur de la protection contre la violence faite aux femmes est attendu depuis longtemps. En février 2020, tout juste avant le début de la pandémie, des journalistes avaient signalé que 19 000 demandes d’hébergement se faisaient refuser chaque mois au Canada. Mieux soutenir les maisons d’hébergement et les autres programmes de logement pour les femmes en situation de violence est une mesure qui ne peut plus attendre. 

Le Canada a adopté une nouvelle attitude, qui consiste à trouver des solutions innovantes pour répondre aux urgences de santé publique. Utilisons cette nouvelle attitude en nous détournant des statistiques sensationnelles sur l’aggravation du problème de la violence conjugale et en créant et en mettant en œuvre des solutions réalisables et fondées sur des données probantes qui aideront nos mères, nos filles, nos sœurs, nos tantes, nos cousines et nos amies, qui nous sont si chères.

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