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CE QUE NOUS SAVONS – ET NE SAVONS PAS – SUR LES MASQUES 

Hedi Zhao, Sukhdeep Jatana et Mark Loeb | 2 juillet 2020

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Hedi Zhao et Sukhdeep Jatana sont étudiants en médecine à l'Université McGill. Mark Loeb est médecin spécialisé dans les maladies infectieuses et professeur de pathologie et de médecine moléculaire à l'Université McMaster.

Le débat concernant le port du masque pour empêcher la propagation du coronavirus semble prendre une tournure de plus en plus émotive au fil des jours. Aux États-Unis, les propositions visant à rendre le port du masque obligatoire ont conduit à des discussions et à des plaidoyers enflammés comme ceux qui ont pu être observés la semaine dernière lors de la réunion des commissaires du comté de Palm Beach, en Floride. Les tensions devraient augmenter au Canada, également, puisque des endroits comme Mississauga, Toronto et la région de Peel semblent vouloir imposer le port du masque à l’intérieur des lieux publics. Le simple geste de porter un bout de tissu sur la bouche est devenu le symbole de notre nouvelle et dangereuse réalité – et une manifestation des opinions politiques et des croyances profondes des gens.

Comme il n’existe pas pour le moment de traitement efficace contre la COVID-19 et qu’aucun vaccin ne semble poindre à l’horizon, les interventions non pharmaceutiques, telles que l’utilisation d’un masque, ont pris de l’importance. Toute cette situation mérite que l’on examine les recherches qui ont été réalisées sur les masques ainsi que l’historique de leur utilisation pour cerner les preuves que nous avons concernant leur efficacité en période de pandémie.

C’est en 1897 qu’un masque a été utilisé pour la première fois pendant une chirurgie effectuée par le médecin français Paul Berger, qui souhaitait protéger ses patients contre sa salive (il souffrait d’une infection dentaire). Une variante de ce masque a été utilisée dans un hôpital à ciel ouvert, à Boston, pendant la pandémie de la grippe de 1918. Cette pratique a conduit certains à postuler que l’emploi de masques, combiné à une ventilation naturelle et à des mesures strictes d’hygiène, permettait de réduire le taux d’infection.

Au cours de ce siècle, le masque a connu une évolution constante, passant du modèle rudimentaire des six bandes de gaze utilisé par le Dr Berger, au masque N95 créé en 1972 par la société 3M. Aujourd’hui, les masques chirurgicaux sont régulièrement portés par les professionnels de la santé dans les salles de chirurgie pour protéger le champ stérile. Ils sont également employés pour protéger les professionnels de la santé contre les patients soupçonnés d’être porteurs d’une infection respiratoire virale, généralement dès leur entrée dans la chambre du patient, ainsi que comme mesure de « contrôle à la source », c’est-à-dire pour protéger les patients immunodéprimés contre les professionnels de la santé qui pourraient être infectés.

Les respirateurs N95 sont portés pour protéger les professionnels de la santé contre les patients qui pourraient être porteurs d’infections telles que la tuberculose. Ils sont utilisés en ce moment pour protéger les professionnels de la santé contre une infection à la COVID-19 pendant les interventions à risque élevé, comme l’intubation (insertion d’un tube respiratoire) ou la bronchoscopie (insertion d’un tube étroit dans les voies respiratoires pour examiner les poumons), qui peuvent générer des aérosols.

Il y a une grande différence entre un masque chirurgical et un respirateur comme le N95. Un respirateur empêche les particules fines en suspension et les plus grosses gouttelettes infectieuses de pénétrer. Le nom du dispositif renvoie au fait que le respirateur bloque au moins 95 pour cent des fines particules (0,3 micron) testées. Ces dispositifs sont composés de plusieurs couches d’un textile non tissé, notamment de couches de protection externes, d’une couche de préfiltration et d’une couche à haute efficacité qui détermine le degré de filtration. Le processus de mise à l’épreuve des masques N95 est rigoureux et prévoit des conditions d’essai précises, telles que le débit d’air, l’humidité et la température, ainsi que l’utilisation de particules de charge neutre de la taille la plus susceptible de pouvoir traverser le masque. Les utilisateurs doivent aussi subir un essayage pour vérifier que le masque est bien ajusté au visage et qu’il n’y a aucune fuite au pourtour du respirateur. Occasionnellement, un modèle différent est requis pour assurer une protection optimale. Les travailleurs qui ont un début de barbe, une barbe, une moustache ou des favoris qui croisent la surface d’étanchéité du respirateur peuvent parfois échouer l’essayage.

Le port des masques médicaux, appelés aussi masques chirurgicaux, est également assujetti à un test d’ajustement réglementé, mais les normes d’ajustement sont souvent moins strictes, puisque ces masques ont pour but d’emprisonner les sécrétions du porteur, qui se présentent principalement sous forme de grosses gouttelettes. Lorsqu’ils sont testés en utilisant les mêmes normes que les respirateurs, le degré d’efficacité de chaque modèle peut être très variable, allant de 10 pour cent à 90 pour cent. Par conséquent, l’Organisation mondiale de la Santé considère que les masques médicaux protègent suffisamment les professionnels de la santé contre les patients qui ont des infections aux voies respiratoires supérieures, y compris le coronavirus, lors des interventions qui ne génèrent pas d’aérosols. Toutefois, le masque N95 devrait être utilisé dans les situations plus risquées, par exemple lors des interactions avec des patients qui ont des infections qui se transmettent par de fines particules en suspension, comme c’est le cas pour la tuberculose, ou pendant les interventions qui génèrent des aérosols.

Une formation est nécessaire pour savoir comment mettre ou enlever un masque dans un contexte médical. Avant de mettre un masque médical, la personne doit tout d'abord se laver les mains. Elle doit ensuite couvrir sa bouche et son nez avec le masque et s’assurer qu’il n’y a aucun espace entre son visage et le masque. Il est important d’éviter de toucher le masque lorsqu’il est porté. Il doit être enlevé depuis l’arrière, sans toucher le devant du masque, puis jeté. Les mains doivent ensuite être lavées de nouveau.

La durée d’utilisation possible d’un masque chirurgical et d’un respirateur N95 n’a pas été établie avec précision. Les masques chirurgicaux sont plus rapidement jetés en raison de leur coût plus faible et de leur plus grande disponibilité. Les fabricants de respirateurs N95 indiquent généralement que ces respirateurs doivent être jetés s’ils ont été salis ou utilisés pendant une intervention générant des aérosols. Autrement, peu de directives ont été émises par les fabricants ou les autorités de santé publique concernant le temps pendant lequel ces dispositifs peuvent être portés de manière sûre. La possibilité de stériliser et de réutiliser les respirateurs N95 est actuellement examinée par plusieurs établissements canadiens, mais les données sur la sûreté de leur désinfection et de leur réutilisation sont limitées.

Nous ne savons pas encore parfaitement quels sont les meilleurs moyens à la disposition des professionnels de la santé pour se protéger dans un contexte clinique pendant la pandémie. Aucun essai randomisé, la forme de preuve la plus rigoureuse, n’a encore été effectué pour comparer l’efficacité des masques chirurgicaux à celle des respirateurs N95 contre la COVID-19, bien qu’une étude soit en cours à ce sujet au Canada. Une analyse combinée de quatre essais comparatifs dans le cadre desquels 5 549 professionnels de la santé en tout portaient aléatoirement un masque chirurgical ou un respirateur N95 n’a démontré aucune différence significative entre les deux types de masque quant à la transmission confirmée en laboratoire d’une infection respiratoire virale. Bien que les données relatives à la COVID-19 ne soient pas encore connues, on reconnaît généralement que porter tout type de masque protège davantage que de ne rien porter du tout.

Les données relatives à l’utilisation des masques en public portent encore plus à controverse. Dans deux études, les chercheurs n’ont pu attribuer aucun avantage significatif au fait de porter un masque lors des interactions de la vie quotidienne entre les membres d’une famille atteinte d’une maladie des voies respiratoires supérieures, bien que la taille des échantillons ait été faible. De récentes modélisations mathématiques sembleraient toutefois indiquer que le port universel du masque au sein de la collectivité serait avantageux lorsqu’au moins 80 pour cent de la population adopte cette pratique. Une évaluation des caractéristiques des masques en coton et des propriétés des aérosols laisse supposer qu’ils pourraient permettre de réduire le taux de transmission. Aucune étude sur le port d’un masque par une population n’a cependant été réalisée pour la COVID-19.

Quelle conclusion pouvons-nous donc tirer de ces données? Les organismes de santé publique, comme les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis, recommandent en ce moment de se couvrir le visage avec un masque en tissu lorsque nous nous trouvons en présence de personnes à l’extérieur de notre domicile, particulièrement quand il est difficile de maintenir une distance physique, parce que ce moyen offre une certaine mesure de contrôle à la source (ne protège pas l’utilisateur, mais les autres). L’OMS recommande l’utilisation d’un masque en tissu lorsque le taux de propagation locale est élevé, lorsque la capacité d’application des mesures de contrôle est limitée et, en particulier, dans les contextes où la distanciation physique n'est pas possible, comme dans les installations et les véhicules de transport en commun ou dans les magasins. Comme le masque en tissu peut favoriser le contrôle à la source et qu’en porter un ne fait pas de tort, cette approche semble raisonnable.

Cet article a initialement été publié dans le Globe and Mail le 1er juillet 2020. 

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