Vous êtes ici


LE CANADA DOIT UTILISER TOUS LES MOYENS À SA DISPOSITION POUR CONTRER LES FUTURES VAGUES DE LA PANDÉMIE DE LA COVID-19

Steve Hrudey | 14 juin 2020

Télécharger l'article au complet

La surveillance de la santé de la population doit représenter une pierre angulaire de l’intervention de lutte contre la pandémie. L'actuelle pandémie de la COVID-19 a posé d’énormes défis logistiques. La population n’ayant pas acquis une large immunité, les mesures de santé publique visant à réduire la propagation de la COVID-19 se limitent au dépistage des cas, au traçage des contacts et à l’isolement des personnes infectées des personnes vulnérables non infectées. Actuellement, approximativement 2 millions de Canadiens, en majorité des personnes symptomatiques ou considérées comme ayant été exposées ou à risque, ont été testés et près de 100 000 tests se sont révélés positifs. Le choix des personnes à tester et le grand nombre de tests cliniques à réaliser ont représenté tout un défi. 

L’épidémiologie basée sur les eaux usées (ÉBEU) est une approche complémentaire qui suscite une grande attention dans le monde. L’ÉBEU utilise les eaux usées d’une collectivité pour représenter une population entière et ainsi obtenir des indications quantitatives sur la prévalence d’une infection. Un échantillon composite de 24 heures de l’affluent d’eaux usées représente les matières fécales collectivement rejetées par l’ensemble de la population de la collectivité urbaine – ce qui équivaut à un prélèvement effectué à l’échelle de la collectivité. Comme le SRAS-CoV-2 est excrété dans les selles des personnes infectées, l’échantillonnage des eaux usées peut potentiellement fournir une indication quantitative de la présence de la COVID-19 au sein d’une population entière et ainsi permettre de suivre les tendances. 

Des experts en eau et en santé publique des Pays-Bas ont commencé au début de février 2020, soit avant que tout cas clinique ait été signalé, à échantillonner les eaux usées de six collectivités pour déceler des traces génétiques du SRAS-CoV-2. Utilisant la méthode qui constitue l’épine dorsale des tests cliniques, ils ont pu déceler des signes de la présence de la maladie avant que des cas cliniques soient signalés. Lorsque la COVID-19 s’est propagée aux Pays-Bas au mois de mars, le signal génétique fournit par les eaux usées s’est amplifié en corrélation avec l’augmentation de la prévalence des cas. Au cours des 10 semaines qui ont suivi la publication de l’étude néerlandaise, l’ÉBEU a également été utilisée en Australie, en France, en Israël, en Italie, au Japon, en Espgne et aux États-Unis.

La technique avait antérieurement été utilisée pour suivre la présence de certains virus, y compris pour surveiller l’efficacité des programmes de vaccination contre la polio et pour surveiller la propagation de maladies comme l’hépatite, le norovirus et influenza. Des programmes régionaux et nationaux d’ÉBEU ont été lancés ou sont sur le point de l’être en Australie, dans l’Union européenne, en Finlande, en Allemagne, aux Pays-Bas, à Singapour, en Afrique du Sud, en Suède et aux États-Unis. 

Au Canada, le Réseau canadien de l’eau, un organisme sans but lucratif national de diffusion du savoir, a constitué la Coalition eaux usées COVID-19 afin de promouvoir l’utilisation de l’ÉBEU au Canada et de contribuer à la mise sur pied d’un projet pilote national de validation de concept destiné à évaluer rapidement la capacité de cette technique à être mise en pratique de façon utile au Canada et à identifier les éléments clés de l’approche qui seraient nécessaires dans un programme de surveillance canadien. 

L’échantillonnage des eaux usées pour l’ÉBEU vise principalement les eaux d’égout non traitées, ce qui permet à l’ÉBEU d’être utilisée indépendamment des différentes technologies d’épuration employées en aval des usines de traitement. Toutefois, si les méthodes et les données peuvent être validées et les risques liés à l’échantillonnage peuvent être réduits au minimum, la possibilité de recueillir des échantillons dans le réseau d’égout favoriserait des stratégies d’ÉBEU plus ciblées pour les sites du réseau qui sont soupçonnés de présenter un risque élevé.

L’ÉBEU ne peut remplacer une vaste campagne soutenue de tests cliniques, de traçage des contacts et d’isolement des personnes infectées; les informations individuelles recueillies sur les personnes infectées demeureront nécessaires. Mais la possibilité inhérente qu’offre un unique échantillon composite d’ÉBEU d’évaluer la présence de SRAS-CoV-2 dans les rejets fécaux de milliers ou de millions de personnes mérite d’être évaluée. La possibilité pour l’ÉBEU de fournir des données supplémentaires et complémentaires sur les tendances de propagation de la COVID-19, potentiellement des jours avant l’acquisition de données cumulatives liées aux tests cliniques est aussi intéressante. Or, malgré un certain intérêt manifesté par les gouvernements fédéral et provinciaux, l’ÉBEU n’a pas encore été utilisée à grande échelle au Canada. 

Bien que certains éléments des techniques requises soient largement utilisés par certains chercheurs canadiens, les eaux usées constituent une matrice complexe, et la combinaison de connaissances, d’expérience et de compétences requise pour produire des résultats précis, reproductibles et pertinents à l’aide d’un programme d’ÉBEU n’est pas simple à réunir. Une assurance et un contrôle de la qualité rigoureux et exhaustifs en matière de prélèvement, de traitement et d’analyse des échantillons sont essentiels pour obtenir des résultats probants. 

La possibilité de repérer plus largement et plus tôt les points chauds, de cerner les conséquences d’un assouplissement des règles de confinement et de fermeture de frontières et de déceler les signes précoces de la nécessité d’accentuer les efforts de surveillance clinique permettrait d’améliorer l’efficacité des mesures conventionnelle de santé publique. Bien que le prélèvement et le traitement des échantillons d’eaux d’égout comprennent des étapes supplémentaires qui ne sont pas nécessaires pour la réalisation des tests cliniques, il va de soi que le nombre d’analyses requis pour mettre en œuvre un programme d’ÉBEU est beaucoup plus faible. Il est essentiel de mettre sur pied un projet pilote au Canada, pendant que le nombre de nouveaux cas diminue, afin de nous préparer à affronter les vagues subséquentes d’infection prévues.

Optimiser les procédures de surveillance des signes de la présence d’agents infectieux dans les eaux usées des collectivités permettrait d’assurer une surveillance efficace de la population lors d’éventuelles épidémies et une surveillance des maladies endémiques, ce qui constituerait pour le Canada une retombée positive durable de son expérience de la pandémie de la COVID-19.

Steve E. Hrudey est professeur émérite au Département de médecine de laboratoire et de pathologie et a été le premier doyen adjoint de la School of Public Health de l'Université de l’Alberta. Il est président du Groupe consultatif de recherche national de la Coalition eaux usées COVID-19 du Canada.

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail du 14 juin 2020.

Thumbnail: