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Cette boîte en bois cintré de la Commission de vérité et réconciliation, sculptée par Luke Marston, artiste salish de la côte, est un hommage aux survivants. (Eyesplash/Flickr)

Daniel Heath Justice, The University of British Columbia and Sean Carleton, University of Manitoba

Dans son rapport final de 2015, la Commission de vérité et réconciliation a été claire : « Sans vérité […], il ne peut y avoir de véritable réconciliation. » Le problème, expliquent les commissaires, est qu’« un trop grand nombre de Canadiens ne savent pas grand-chose, voire rien du tout, sur les racines historiques profondes » des problèmes actuels qui découlent du colonialisme de peuplement en général et des pensionnats en particulier.

Il est d’autant plus difficile pour certains de reconnaître la vérité que beaucoup de Canadiens associent toujours les pensionnats aux images positives que les responsables de l’Église et de l’État utilisaient pour faire la propagande et la promotion de ces institutions en tant que projets humanitaires.

Ces représentations « positives » des pensionnats justifient les approches politiques coloniales qui nuisent encore aujourd’hui aux peuples autochtones.

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Rejet et déformation des faits

Le manque de connaissances historiques précises n’est toutefois pas le seul obstacle à la vérité et à une véritable réconciliation. Certaines figures publiques — l’ancienne sénatrice Lynn Beyak, le chef du parti conservateur Erin O’Toole, Conrad Black et d’autres — se sont ouvertement engagées dans le négationnisme.

Un visage féminin

Lynn Beyak a été suspendue sans salaire du Sénat en 2019 après avoir refusé de retirer des lettres racistes postées sur son site web au sujet des pensionnats. La Presse canadienne/Chris Wattie

Le négationnisme des pensionnats n’est pas la négation de l’existence du système des pensionnats indiens (SPI), mais plutôt le rejet ou la déformation de faits fondamentaux qui concernent les pensionnats dans le but de nuire aux efforts de vérité et de réconciliation.

Les négationnistes des pensionnats utilisent toute une gamme d’arguments rhétoriques. Leur objectif ultime est de maquiller la vérité sur le SPI de manière à protéger le statu quo et les coupables.

Ces négationnistes croient fermement que les Autochtones ont des défauts congénitaux et que les colonisateurs sont innocents, et leur pensée est souvent ancrée dans un triomphalisme chrétien. Ils comptent dans leurs rangs des apologistes des missionnaires, des auteurs et des universitaires, des éditorialistes de droite et anti-autochtones, ainsi que des parents de membres du personnel des pensionnats qui se réfèrent sans critique à leurs souvenirs et s’efforcent de défendre la réputation de leur famille. Ce ne sont pas des commentateurs informés ni objectifs.

Éviter la vérité, précipiter la réconciliation

Murray Sinclair, le président de la CVR, a affirmé récemment que le négationnisme des pensionnats est en hausse et qu’une véritable réconciliation est en péril.

Selon Sinclair, le Canada précipite la réconciliation et laisse la vérité en plan. À la lumière des dernières découvertes de tombes d’enfants anonymes dans tout le pays, le moment est venu d’affronter la vérité sur le système canadien des pensionnats et, ce faisant, de réfuter le négationnisme.

Un groupe de personnes portant un t-shirt

Des membres de la nation Tsuut’ina participent à une marche silencieuse à Calgary en mémoire des 215 tombes anonymes découvertes à Kamloops, en Colombie-Britannique. La Presse canadienne/Jeff McIntosh » caption

Le glossaire suivant permet de dresser le début d’une liste des contorsions utilisées couramment par les négationnistes pour tenter de discréditer les preuves documentaires et testimoniales accablantes de la violence généralisée, multigénérationnelle, systémique et continue du régime des pensionnats.

1. Génocide : Destruction, en tout ou en partie, d’une nation ou d’un groupe ethnique. Malgré la définition officielle large des Nations unies, les négationnistes limitent stratégiquement le terme « génocide » à des événements de purification ethnique semblables à l’Holocauste. En dépit des preuves historiques, les négationnistes affirment que le terme génocide ne s’applique pas au Canada. Le rapport final de la CVR démontre que le traitement des peuples autochtones par le Canada correspond à la définition de génocide, en expliquant notamment comment le système des pensionnats constituait une forme de « génocide culturel ».

Certains négationnistes s’appuient sur cette catégorisation pour suggérer qu’un génocide « culturel » n’est pas un génocide. C’est faux. La Société historique du Canada a précisé récemment que « génocide » est le terme correct à utiliser dans le contexte canadien.

2. École : Un lieu où l’on enseigne aux enfants une variété de matières scolaires. Les agressions physiques, le tri des enfants selon des hypothèses racistes et sur la base des capacités et de la classe sociale relèvent d’une longue tradition dans l’éducation canadienne. Mais une série de facteurs distingue les pensionnats des contextes scolaires comparatifs. Ces facteurs comprennent : l’assimilationnisme raciste ; l’humiliation culturelle et la violence sexuelle combinées à la collusion multigénérationnelle de l’Église et de l’État ; l’objectif explicite d’isoler les enfants pour neutraliser la résistance de la communauté au contrôle du gouvernement.

Les négationnistes font souvent de fausses comparaisons entre les pensionnats pour tous et les institutions carcérales violentes qu’on a appelées « pensionnats autochtones ». En vertu de la politique canadienne, pendant plus de 100 ans et sur plusieurs générations, les enfants autochtones ont été arrachés à leur famille et à leur culture pour être placés dans des établissements où ils étaient souvent maltraités, mal nourris, vendus à des familles blanches et soumis à une éducation de mauvaise qualité axée sur le travail manuel et la servitude, et ce, pendant que le gouvernement dépossédait systématiquement les Autochtones de leurs terres et de leurs ressources.

3. « Ils ont appris de nouvelles compétences » : Les « nouvelles compétences » enseignées dans les pensionnats, où l’on n’offrait pas une formation scolaire ou professionnelle de qualité, comprenaient un endoctrinement religieux appuyé par des châtiments corporels et toutes sortes de violences, la honte culturelle et corporelle, l’aliénation de la famille, la déconnexion des économies de subsistance et une préparation médiocre au travail salarié.

Les représentants de l’Église et de l’État justifient souvent cette « éducation » en termes humanitaires, voire sacrés. Mais toutes ces « compétences » ont directement contribué à la destruction des modes de vie autochtones et à la formation des enfants et des jeunes à des postes de service « productifs » de classe inférieure. Les enfants autochtones n’ont pas été dirigés vers la voie de la compétition économique ou sociale de la société coloniale capitaliste du Canada.

4. « Leurs intentions étaient bonnes » : Peu importe le nombre de corps retrouvés, le nombre de personnes qui témoignent des traumatismes subis tout au long de leur vie aux mains des autorités religieuses et des enseignants, les négationnistes évoquent les « bonnes intentions » de certains responsables scolaires pour justifier le maintien d’un système scolaire génocidaire pendant plus d’un siècle.

5. « Vous oubliez tous les bons côtés » : Tout ce qui rendait la vie supportable dans un contexte violent de cruautés infligées par le personnel, de privations et de séparation d’avec les amis, la famille et le foyer est cité par les négationnistes comme le « bon » côté des pensionnats pour laver les Églises de leur culpabilité. Les négationnistes insistent pour mettre en lumière une minorité de souvenirs individuels positifs des écoles dans le cadre d’une stratégie qui vise à discréditer ceux qui attirent l’attention sur les effets génocidaires globaux et systémiques du régime des pensionnats.

Même l’Église anglicane du Canada, qui a administré environ 30 % des pensionnats du pays, a déclaré qu’il n’y avait rien de bon dans un système scolaire qui cherchait à « tuer l’Indien dans l’enfant ».

6. Équilibre : Une pondération égale des différents éléments. Les négationnistes ont souvent recours à une forme de partialité connue sous le nom de « faux équilibre » pour suggérer à tort que les « bons » et les « mauvais » aspects des pensionnats sont des parties égales de « l’ensemble de l’histoire ». L’insistance à mettre l’accent sur les « points positifs » pour assurer un équilibre dénature fondamentalement le consensus scientifique, étayé par les témoignages accablants des survivants et la recherche historique, selon lequel les effets globaux du système sont génocidaires.

7. « C’était l’époque » : L’idée que l’on ne peut pas juger le passé selon les valeurs d’aujourd’hui. Cette notion suggère à tort que personne ne jugeait sévèrement les pensionnats quand ils existaient. En réalité, des parents, des élèves et des dirigeants des communautés autochtones, des employés d’église et même l’expert médical du ministère des Affaires indiennes ont critiqué le système « à leur époque ». Cependant, les puissants représentants de l’Église et de l’État ont choisi de minimiser et de discréditer la dissidence et la résistance pendant plus d’un siècle afin de protéger le régime des pensionnats pour qu’il puisse continuer à soutenir le colonialisme de peuplement et la construction de la nation canadienne. C’était un moyen de protéger leurs actifs et de se défendre contre les litiges.

8. Civilité : C’est ce que certains colonisateurs exigent des Autochtones lorsque leur négationnisme est publiquement dénoncé, contesté et discrédité. La colère, la tristesse et le refus des Autochtones sont qualifiés d’incivils et exclus du discours considéré comme « dominant ». En revanche, nos institutions publiques acceptent la colère et l’indignation des colonisateurs qui servent à défendre les négationnistes.

Dans l’ensemble, le négationnisme des pensionnats est une stratégie utilisée pour manipuler et minimiser la réalité des expériences douloureuses des peuples autochtones sous le régime colonialiste canadien afin de protéger le statu quo. Un exposé honnête du passé rend possible un avenir honorable, mais seulement si les Canadiens ont le courage d’y faire face. Comme nous le rappelle la CVR, la vérité doit précéder la réconciliation, si l’on veut éviter que les torts de l’histoire se perpétuent.

The Conversation

Daniel Heath Justice, Cherokee Nation citizen, Professor of Critical Indigenous Studies and English, University of British Columbia and Sean Carleton, Assistant Professor, Departments of History and Indigenous Studies, University of Manitoba

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.

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