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LE CANADA EST DÉFAILLANT EN MATIÈRE DE BIEN-ÊTRE MENTAL DES ENFANTS

Tracy Vaillancourt, Shelley Hymel, Debra Pepler et Peter Szatmari | 9 septembre 2020

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Tracy Vaillancourt, Docteure, Professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada de niveau 1 en santé mentale et en prévention de la violence en milieu scolaire, Faculté d’éducation, Université d’Ottawa, Membre du Collège de la Société royale du Canada.

Shelley Hymel, Docteure, Professeure Edith-Lando en apprentissage socio-émotionnel, Faculté d'éducation, The University of British Columbia

Debra Pepler, Docteure, C. Psych, professeure de recherche en psychologie, York University, Officier de l'Ordre du Canada

Peter Szatmari, M.D., Président du Child and Youth Mental Health Collaborative au sein de l’Hospital for Sick Children, ainsi que du centre d’addiction et de santé mentale de l’Université de Toronto ; Professeur et chef de la division de la santé mentale des enfants et des adolescents de l’Université de Toronto ; titulaire de la Chaire Patsy et Jamie Anderson en santé mentale des enfants et des adolescents

Le dernier bilan 2020 de l'UNICEF tente de comprendre les facteurs influençant « la santé, les compétences et le bonheur » des enfants vivant dans les pays riches. Le bien-être mental, défini comme le fait de se sentir positif et d'être en bonne santé mentale, est considéré comme étant un élément central de la qualité de vie.

Les principaux groupes et organisations de défense des enfants au Canada reconnaissent également que le bien-être mental est un élément clé de la santé et du bien-être des enfants. En effet, la santé socio-affective des enfants, fondement du bien-être mental, a été considérée par les médecins comme un facteur fondamental pour la réouverture des écoles lors de la pandémie de COVID-19. SickKids soutient la nécessité de mettre en balance le risque d'infection et les répercussions négatives des fermetures d'écoles sur « la santé développementale, la santé mentale et l'apprentissage ». La Société canadienne de pédiatrie, qui prône également le retour à l'école en toute sécurité, affirme que « les conséquences négatives des fermetures d'écoles sur la santé et le bien-être des enfants et des jeunes du Canada ne doivent pas être négligées ».

Pourtant, le bien-être mental des enfants canadiens a été négligé. En fait, comme le mentionnaient déjà les précédents bilans de l'UNICEF, les jeunes Canadiens sont misérablement classés dans le domaine du bien-être mental, et se situent en 31eme position sur 38 pays. Le classement du Canada en matière de santé physique des jeunes est également lamentable : 30eme. De plus, le taux de suicide des jeunes au Canada est le 7e plus élevé au monde parmi les pays économiquement avancés. Cette situation est inexcusable compte tenu de la richesse de notre pays par rapport à d'autres qui se classent mieux que le Canada.

Comment peut-il y avoir un tel décalage entre ce que nous préconisons et la réalité des enfants canadiens ? Malgré son discours, le Canada n'a pas accordé la priorité au bien-être mental des enfants et des jeunes dans sa pratique clinique ou ses politiques. Servant de modèle pour les pays du monde entier, les normes européennes de soins pour la santé des nouveau-nés ont créé des points de référence pour les soins prodigués aux prématurés et aux nouveau-nés en fonction de leur développement. Ces normes comprennent une catégorie sur les relations sociales, une composante clé du bien-être mental, indiquant que les prestataires de soins de santé au sein de l'UE doivent reconnaître l’importance de ce domaine de développement qui mérite leur attention. La principale recommandation suggère que les prestataires de soins de santé procèdent systématiquement au dépistage des difficultés dans les relations avec les pairs en milieu clinique et interviennent si cela est nécessaire, et au moment opportun. De même, le Royaume-Uni publie régulièrement des lignes directrices informatives sur les pratiques éprouvées utilisées pour traiter les différents problèmes de santé mentale auxquels sont confrontés les enfants et les adolescents.

Il n'existe pas de lignes directrices aussi qualitatives pour les praticiens de la santé canadiens. Bien qu'il existe des lignes directrices ciblées pour des pratiques telles que le dépistage des comportements perturbateurs chez les enfants d'âge préscolaire, il n'existe pas de normes nationales de soins pour les professionnels de la santé en matière de développement socio-émotionnel, même si notre système éducatif souligne de plus en plus la nécessité de replacer ce domaine de la santé au cœur des écoles.

Le Canada peut contribuer à améliorer le bien-être mental de ses enfants et de ses jeunes en créant une stratégie nationale qui met l'accent sur l'importance du bien-être social, émotionnel et mental des enfants pour la réussite dans la vie, ainsi que sur les résultats scolaires, domaine dans lequel le Canada excelle. Pour justifier la réouverture des écoles dans le contexte de la COVID-19, les fournisseurs de soins de santé ont souligné l'importance du développement socio-émotionnel, reconnaissant son fondement pour le bien-être de l'enfant. Si les gestes ont plus de poids que les mots, les professionnels de la santé canadiens doivent intégrer cette préoccupation dans leurs contrôles de routine et établir des politiques qui placent la santé mentale au cœur de la santé.

Le Canada doit également (1) recueillir des données sur le bien-être mental des enfants canadiens et leur transition saine vers l'âge adulte, en accordant une attention particulière aux groupes particulièrement vulnérables, (2) élaborer des stratégies nationales pour faire face à la tragédie du suicide dans toutes les couches de la population, mais en particulier chez les Premières Nations, les Métis et les Inuits qui sont touchés de manière disproportionnée, et (3) réduire les disparités saisissantes entre les pratiques et les politiques en matière de santé mentale dans tout le pays.

Seul un gouvernement fédéral travaillant avec les provinces et les territoires pour coordonner les pratiques et les politiques fondées sur des données probantes peut mettre en place ces mesures. En d'autres termes, nous avons besoin d'un commissaire national à l'enfance qui conseille le Cabinet du Canada et contribue à l’élaboration de toutes les politiques ayant un impact sur les enfants et les jeunes. Ces suggestions sont fondées sur des données probantes. Les examens systématiques des lignes directrices de pratique clinique en matière de santé mentale des enfants et des adolescents révèlent que les seules lignes directrices constamment bien classées, selon les normes internationales, sont celles produites par des organismes gouvernementaux indépendants tels que le National Institute for Health and Care Excellence au Royaume-Uni. Ainsi, pendant que les organismes professionnels se chargent de continuer à produire des normes professionnelles, le gouvernement devrait endosser la responsabilité de l'élaboration de lignes directrices et de politiques. 

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 6 septembre 2020.

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