Vous êtes ici


LA COVID, UN MOYEN DE REFAÇONNER L’ENSEIGNEMENT

Madeleine Mant and Neil Orford | 9 novembre, 2020 

Télécharger l'article

Prof. Paul Hackett est professeur adjoint de géographie et de planification, University of Saskatchewan

Prof. Madeleine Mant est une adjointe à la recherche en anthropologie de la santé, University of Toronto Mississauga

Neil Orford est le président de Moments déterminants Canada.

En plein automne et pendant la deuxième vague, les enseignants, les parents et les enfants du Canada apprennent tous à apprendre et à enseigner à l'ère de la COVID.  

Outre tous les protocoles de santé publique (masques, distanciation, etc.), on a le sentiment que cette activité sociétale des plus fondamentales est réinventée de centaines de façons différentes, à petite et à grande échelle, de manière réfléchie ou dans la précipitation. 

Pourtant, l'histoire de l’enseignement à l’ère de la COVID relate, ou devrait relater, bien plus que la gestion de classes par vidéoconférence ou l’organisation des innombrables matériels de cours en ligne en paquets digestibles. 

La pandémie offre plutôt aux enseignants et à leurs élèves une occasion unique d'abandonner un système d'apprentissage dépassé qui cloisonne les matières, et d'adopter une autre approche mettant l’accent sur la façon dont les différents domaines (mathématiques, sciences, histoire, etc.) s'assemblent pour révéler une image plus intégrée de la société. 

Cette perspective transdisciplinaire est illustrée, en ce moment, par notre apprentissage sur la transmission de la COVID de manière inégale au sein des communautés. 

Après presque neuf mois, nous comprenons maintenant certains aspects clés du comportement et de la géographie de la pandémie, et comment elle a mis à jour tant de lignes de faille sociales et économiques. 

Premièrement, le virus a clairement touché les populations vulnérables, à savoir les ménages à faibles revenus et/ou racialisés et les personnes âgées, de manière beaucoup plus aiguë que les personnes qui travaillent à domicile, jouissent d'une relative aisance et sont plus jeunes ou en meilleure santé. Ces inégalités sociales et ethniques sont, à leur tour, liées aux logements surpeuplés, aux emplois précaires et à l'accès limité aux soins de santé.

Nous savons également que les symptômes de l'infection sont amplifiés et exacerbés par les conditions médicales sous-jacentes. À titre d’exemple, une analyse de Diabète Canada publiée en septembre indiquait que les diabétiques qui contractaient la COVID « étaient plus à risque de développer un syndrome de détresse respiratoire de l'adulte (SDRA), une pneumonie, des réponses inflammatoires excessives et non contrôlées, et un état d'hypercoagulation ».

Enfin, les recherches épidémiologiques démontrent que certaines maladies chroniques sont plus fréquentes au sein des communautés à faibles revenus et chez certains groupes ethnoculturels en raison des inégalités de statut socio-économique et d'accès aux soins de santé primaires.

Les experts en santé de la population ont répertorié depuis longtemps les déterminants sociaux de la santé. Par exemple, il est bien connu que les habitations à loyer modique construites à proximité d'artères très fréquentées sont liées à l'asthme chez les enfants vivant dans ces complexes. Cela étant, cette pandémie a montré que certaines communautés vivaient en fait une « syndémie », c’est-à-dire la combinaison d'un ensemble de conditions sociales et l'incidence élevée de maladies multiples et interdépendantes, dont certaines peuvent être transmissibles, comme la COVID, et d'autres qui ne le sont pas, comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires ou les troubles anxieux.

Les chercheurs qui étudient les syndémies affirment que pour les empêcher à l'avenir, il est nécessaire de défier l'interaction complexe entre les maladies et les choix politiques, économiques et sociaux que nous faisons en tant que société. Le traitement médical de ces maladies est certes nécessaire, mais pas suffisant. Les solutions doivent aller au-delà des vaccins ou des médicaments et s'attaquer aux conditions socio-économiques sous-jacentes qui sont à l'origine de ces interactions entre les maladies. 

En d'autres termes, les décideurs politiques et les professionnels de la santé doivent prendre de la hauteur par rapport à leur domaine pour trouver les moyens de s'attaquer aux causes profondes (par exemple, le racisme ou la polarisation extrême des revenus) et utiliser ces connaissances pour comprendre la progression des maladies. Il s’agit d’une autre façon de penser qui exige une collaboration étroite.

Quelle est alors la leçon à tirer dans le domaine de l’enseignement ? Depuis des générations, l'enseignement est classé par matière. Les élèves peuvent apprendre les statistiques au cours de mathématiques, les virus au cours de sciences et les facteurs de pauvreté dans les études sociales. Ils ne découvrent pas nécessairement les liens entre ces matières. En bref, on ne leur apprend pas à penser « en termes de syndémie ». 

Nous dirions que ce cloisonnement pédagogique, faute d'un terme plus adéquat, a produit des générations d'adultes - d'électeurs - qui n'ont pas été encouragés à concevoir l’imbrication des pièces et ni à chercher à savoir pourquoi une compréhension plus intégrée des conditions sanitaires et sociales était la meilleure défense contre la prochaine pandémie (qui se produira).

En effet, les responsables politiques en matière d’enseignement devraient se demander comment intégrer des sujets d'une importance capitale, tels que les déterminants sociaux de la santé et la santé publique au niveau local, dans le programme d'enseignement de la maternelle à la 12e année, afin que la compréhension de ces concepts devienne un élément essentiel de l’apprentissage des enfants et des jeunes. 

Le fait que les enseignants, et plus généralement le système éducatif dans son ensemble, ne l’aient pas fait auparavant ne signifie pas que cela ne peut pas se produire à l'avenir. Après tout, des thématiques interdisciplinaires telles que le changement climatique sont devenues des éléments incontournables des programmes scolaires contemporains, et cet apprentissage a permis aux jeunes de mieux comprendre ce sujet et de mieux saisir le degré d’urgence.

Bien avant la pandémie, la Finlande s'était engagée dans une réorganisation de son système éducatif déjà centré sur l'enfant en construisant des écoles à concept ouvert et en introduisant un apprentissage davantage multidisciplinaire.  

Les enfants et les jeunes qui sont retornés dans des salles de classe physiques ou virtuelles en septembre ont subi les dures leçons de la COVID-19. Certains ont connu l'isolement social. D'autres ont été coupés de leurs grands-parents ou ont vécu des tragédies dans leur propre famille. D'autres encore peuvent constater que certains de leurs camarades de classe ont des parents qui n'ont jamais eu la possibilité de travailler à la maison pendant que d'autres le faisaient.

L'occasion est ici non seulement de rassembler toutes ces expériences et d'offrir aux étudiants un moyen de comprendre les liens, mais aussi d'intégrer l'apprentissage transdisciplinaire dans tous les aspects de l'éducation. 

Ainsi, les générations à venir pourront aborder la prochaine grande épidémie avec davantage de résilience et de meilleures questions. 

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 16 novembre 2020.

Thumbnail: