SUIVRE LE MOUVEMENT DU CHANGEMENT EN MATIÈRE D’ENSEIGNEMENT
Susanne P. Lajoie | 10 septembre 2020
Les enseignants du monde entier, de l'école primaire à l'université, ont été confrontés à la nécessité d'enseigner à distance pendant la pandémie de COVID-19. Cette situation est loin d'être idéale, et ce pour de nombreuses raisons qui vont au-delà de la préparation à l'enseignement accompagné de technologie et de l'accès des étudiants à la technologie. Cependant, nous vivons, apprenons, jouons et travaillons dans un ère numérique fondée sur le savoir, il s’agit peut-être du moment idéal pour intégrer la technologie dans l'enseignement au quotidien. La question est la suivante : avec un temps de préparation aussi court, les enseignants seront-ils entraînés par la courbe d'apprentissage abrupte ou trouveront-ils de nouvelles méthodes d'enseignement innovantes ? La mise à disposition de la technologie ne se traduit pas automatiquement par un meilleur apprentissage, ni ne remplace les enseignants, mais elle peut être conçue pour soutenir, transformer et étendre l'apprentissage à des situations spécifiques.
La technologie en tant que moteur du changement
La technologie a longtemps été considérée comme un moteur du changement pour l’enseignement. Dès les années 1920, les machines à enseigner ont été programmées pour donner aux individus un retour d'information adaptable en fonction des réponses individuelles spécifiques (Pressey, 1920 ; Skinner 1956). Malgré la capacité limitée de ces boîtes de Skinner, les principes de l'individualisation de l'enseignement par la technologie étaient nés. Depuis lors, nous avons assisté à une croissance étonnante de la puissance et de la portabilité des appareils technologiques, ainsi qu'à l’avènement de théories expliquant les bienfaits de l’apprentissage individuel ou collectif. La combinaison d’innovations technologiques en matière de pédagogie et de théories sur l’apprentissage des étudiants se traduira par de meilleures expériences d'apprentissage.
Les mécanismes sous-jacents et les principes de conception dictant la possible amélioration de l'apprentissage et de l'engagement dans le contexte d’environnements d'apprentissage riches en technologie (ERT) ont fait l'objet de recherches continues au cours de la dernière décennie. Il existe de nombreux types d'ERT, créés à des fins pédagogiques différentes. En d'autres termes, ils n'offrent pas tous les mêmes caractéristiques, certains étant créés pour l'apprentissage en solo, tandis que d'autres peuvent être utilisés pour des situations d'apprentissage collaboratif. Même si de nombreux débats subsistent quant à la généralisation des lignes directrices, la plupart des spécialistes de l'apprentissage s’accordent à dire que les ERT peuvent promouvoir l'apprentissage et l'engagement pour plusieurs raisons. Nous présentons ces raisons ci-dessous.
Tutorat individuel
Les recherches ont démontré que le tutorat individuel, qu'il s'agisse d’une interaction professeur humain-élève (Bloom, 1984) ou ordinateur-élève (van Lehn, 2011), produisait les plus grands bénéfices en termes d'apprentissage par rapport à une interaction professeur-plusieurs élèves. Le succès du tutorat individualisé est dû à la nature dynamique, spécifique au contexte, du retour d'information individualisé conçu pour aider chaque étudiant à maîtriser ses objectifs d'apprentissage. Lorsqu'elles sont conçues de manière pertinente, les situations d'apprentissage accompagnées par la technologie peuvent intégrer des évaluations nuancées. À titre d’exemple, des algorithmes d'intelligence artificielle peuvent être conçus pour aider à évaluer les forces et les faiblesses sous-jacentes des profils d'apprenants, afin de pouvoir offrir de manière dynamique des formes d'enseignement et des retours d'informations adaptés.
Représentations multiples
La technologie peut être utilisée pour représenter des idées complexes de multiples façons en utilisant les moyens multimédia (visualisations, simulations, vidéos, explications textuelles, …), permettant ainsi de rendre les idées abstraites plus concrètes et plus compréhensibles. Les individus apprennent par différents moyens et il se peut donc qu’un seul type d'explications ne soit pas suffisant. En proposant des alternatives flexibles, il est possible de maximiser la portée de l'apprentissage en touchant différents profils d’apprenants.
Modèles d'expertise
L'un des principaux objectifs de l'enseignement est d'aider les apprenants à devenir plus compétents ou qualifiés dans un domaine. Afficher plus clairement le chemin vers la compétence peut aider les novices tout au long de leur parcours. À titre d’exemple, la technologie peut fournir des exemples qui externalisent des modèles de compétence pour des tâches spécifiques et peut rendre les critères d'évaluation plus transparents pour les apprenants. À cet égard, les étudiants peuvent étudier et modéliser leurs actions en fonction de critères spécifiques qui les aideront tout au long de leur parcours d'apprentissage. Il est important de noter que la technologie peut aider les apprenants à devenir plus autonomes et autorégulés, en les aidant à fixer des objectifs, à suivre et à évaluer leurs performances et à réfléchir sur ce qu'ils ont fait ou pas bien fait.
Pratique délibérée
Il est important de noter que toutes les pratiques ne sont pas parfaites. Pour être davantage qualifié, il faut s'entraîner délibérément, ce qui signifie franchir les étapes nécessaires pour surmonter les erreurs ou les impasses (Ericsson, Krampe &Tesch-Romer, 1993). Les environnements d'apprentissage riches en technologie peuvent identifier de telles erreurs et impasses et fournir le retour d'information nécessaire aux apprenants dans le contexte de ces situations particulières. Ainsi, les étudiants ne répètent pas « leurs erreurs ou leurs faux pas ».
Situer l'apprentissage dans les apprentissages cognitifs
L'apprentissage accompagné par la technologie se présente sous de nombreuses formes, variant de systèmes de tutorat intelligents aux simulations immersives en réalité virtuelle par l’intermédiaire d’agents pédagogiques virtuels pédagogiques. Cependant, un des principes d'apprentissage majeurs consiste à concevoir de telles technologies pour permettre une pratique durable dans l'exécution de tâches significatives. En d'autres termes, il s'agit de fournir à l'apprenant des expériences qui l'aident à mettre en pratique ses compétences grâce à des activités interactives imitant des situations réalistes. À titre d’exemple, les étudiants peuvent devenir des apprentis cognitifs dans des domaines d'études spécifiques où ils sont accompagnés d’experts qui les aident à participer à des activités pratiques issues du monde réel. Ainsi, si les élèves apprennent les sciences, ils peuvent s'engager dans un ERT basé sur une enquête immersive où leur objectif est d'utiliser leurs compétences de raisonnement scientifique afin de déterminer la cause d’un phénomène, comme par exemple les origines de la mortalité chez les poissons dans un lac particulier. Un tel ERT pourrait leur fournir des outils scientifiques leur permettant de formuler, de rapporter et de tester des hypothèses en recueillant et en analysant des données scientifiques, et ainsi améliorer leurs capacités à résoudre des problèmes. Grâce à de telles interactions, en orientant leurs idées, les élèves apprennent à apprendre de manière autonome. Cela étant, ils peuvent également recevoir les conseils d'un agent pédagogique à leur demande, qui leur fournira un retour d'information pour les aider à trouver une solution.
Apprentissage collaboratif : soutien aux compétences sociales et émotionnelles
En plus d’alimenter l’esprit critique, la prise de décision et la résolution de problèmes chez les individus, les ordinateurs peuvent également soutenir les compétences socio-émotionnelles et l'apprentissage collaboratif en favorisant les aptitudes sociales, la prise en compte de multiples perspectives, l'écoute active et les compétences communicationnelles. Les ERT peuvent offrir aux groupes et aux équipes la possibilité de travailler sur des projets où les objectifs communs sont essentiels à la réussite des activités. Les élèves peuvent participer par l’intermédiaire de textes ou de discours selon les plateformes développées. Différentes caractéristiques technologiques peuvent être utilisées pour visualiser la participation des étudiants au sein du groupe, et les enseignants peuvent utiliser ces outils pour intervenir lorsque les équipes se trouvent dans une impasse, sont dysfonctionnelles ou requièrent une participation plus équilibrée. Encourager la prise en compte de multiples perspectives peut conduire à des résultats novateurs et à un plus grand bien-être chez les participants dont la voix est entendue.
Renforcer la motivation
Les environnements d'apprentissage riches en technologie peuvent être stimulants lorsqu'ils offrent aux étudiants des niveaux optimaux de défis avec des problèmes qui ne sont ni trop faciles ni trop difficiles. La personnalisation de tels environnements, comme l’appellation des élèves par leur nom et l’offre de différentes possibilités pour certaines caractéristiques, peut contribuer à accroître l’intérêt pour un sujet et à améliorer la valeur perçue de l'activité, se traduisant par des émotions plus positives et, par conséquent, un effort accru fourni au cours de l'activité d'apprentissage. En outre, certains TRE sont motivants car ils contiennent un certain degré de suspens quant à la suite des activités et qu’un bon équilibre est établi entre les stimuli sensoriels ressentis par les individus. L'apprentissage par l'action et l'interaction offre un retour d'information continu à l'apprenant, ce qui est généralement motivant puisque le retour d'information est personnalisé.
Soutenir les enseignants dans leur prise de décision
Les enseignants sont aussi des apprenants et leur décision d'intégrer la technologie dans leur enseignement est influencée par leur connaissance préalable de la valeur des outils technologiques ainsi que par leur confiance en ces outils. L'accès aux outils technologiques et le choix parmi ceux étant utiles pour la planification des cours peuvent être difficiles. Cela étant, les enseignants confèrent généralement une valeur aux outils fournissant des preuves des connaissances et de la compréhension des étudiants. Les environnements riches en technologie fournissent ce type de preuves, principalement par l’intermédiaire de dossiers sur les interactions des étudiants pendant l'apprentissage. Ces enregistrements se présentent sous la forme de fichiers journaux qui enregistrent et évaluent la pertinence des actions des élèves dans le contexte de la résolution de problèmes. Ces dossiers présentent des données sur les points d'achoppement et les erreurs courantes commises par les élèves, et les enseignants peuvent utiliser ces données pour améliorer leur enseignement. Les données de suivi révèlent les processus que les élèves mettent en œuvre pour parvenir à une solution et, par conséquent, et permettent de fournir les preuves de la manière dont ils ont résolu le problème en plus de la précision de leur résolution de problème. Ces données lèvent le voile sur des évaluations formatives et sommatives qui peuvent éclairer les actions des enseignants. Les enseignants peuvent également émettre leurs propres observations sur les étudiants pendant qu'ils résolvent des problèmes avec la technologie, seuls ou en groupe. Lorsqu'il observe l'utilisation d'un ERT par un élève, l'enseignant peut lui demander de réfléchir à voix haute tout en résolvant un problème, ce qui lui permet de mieux comprendre l'interprétation de la tâche par l'élève. Les plateformes technologiques qui facilitent l'apprentissage collaboratif peuvent libérer l'enseignant pour qu'il puisse observer des groupes en action. Les écouter (ou les lire) peut contribuer à déterminer la qualité de la compréhension ainsi que la proportion de participation des étudiants, et à étayer les groupes qui ont besoin d'aide. Observer à distance permet aux enseignants de mieux saisir le niveau de compréhension des étudiants, car ils voient certains d'entre eux et leurs connaissances sous un angle différent.
Pour conclure, les ERT ne sont pas tous identiques. Ils ont des objectifs pédagogiques et d'évaluation différents. En tenant compte des principes qui guident notre compréhension des meilleures méthodes d’apprentissage, l'utilisation de la technologie pourrait faciliter la transformation de l'enseignement afin d'améliorer la capacité d’adaptation et l'efficacité de l'enseignement. Actuellement, il n'existe pas de bases de données provinciales ou nationales répertoriant les types d'environnements d'apprentissage riches en technologie et qui pourraient être utilisées pour différents niveaux scolaires et différentes matières. Nous pouvons espérer disposer de ces ressources à l'avenir, mais en attendant, les enseignants et les parents peuvent tenir compte des principes susmentionnés lorsqu'ils évaluent l'utilité de logiciels spécifiques à des fins éducatives. À titre d'exemple, je propose des liens vers deux environnements technologiques créatifs, Crystal Island et Physics Playground, qui incarnent les principes abordés dans cet article et qui sont à la disposition des enseignants, des parents et des étudiants. Tous deux sont conçus pour aider les étudiants à apprendre les sciences. Crystal Island a été conçu par James Lester et ses collègues pour aider les élèves de niveau intermédiaire à acquérir des compétences en sciences et en particulier dans le domaine de la microbiologie (http://projects.intellimedia.ncsu.edu/crystalisland/about/; (http://projects.intellimedia.ncsu.edu/crystalisland/getting-started/). Les étudiants jouent notamment le rôle d'un détective médical de terrain enquêtant sur une mystérieuse épidémie de maladie infectieuse touchant une équipe de scientifiques sur une île isolée. Les étudiants interagissent avec des personnages virtuels, du matériel de laboratoire virtuel et lisent des textes scientifiques pour construire et mettre en application des connaissances spécifiques au contexte afin d'interpréter des événements complexes et de formuler des hypothèses sur la nature et l’origine de la maladie. Physics Playground est conçu par Valerie Shute et ses collègues (https://pluto.coe.fsu.edu/ppteam/) et aide les étudiants à comprendre la physique qualitative en temps réel. Le jeu couvre 9 compétences clés en physique (par exemple, les 3 lois de la force et du mouvement de Newton) que les étudiants apprennent en créant et en interagissant avec des objets animés par ordinateur (c'est-à-dire une rampe, un levier, un pendule et un tremplin) à l'écran pour tester leurs théories sur les lois de la force et du mouvement et rendre l'apprentissage de la physique amusant. J'ai fourni un lien vers d'autres jeux technologiques sérieux présentés par le ministère américain de l'éducation qui offre différentes ressources pour différents sujets (https://www.edsurge.com/news/2018-01-10-what-we-learn-from-the-edtech-games-the-government-plays). Enfin, le Journal of Information and Learning Sciences a produit un numéro spécial qui présente différentes perspectives sur l'éducation à distance en ligne qui pourraient être utiles à celles et ceux en quête de nouvelles approches en cette période de transition éducative https://www.emeraldgrouppublishing.com/journal/ils/special-issue-free-access-a-response-emergency-transitions-remote-online-education.
Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 2 septembre 2020.