Dans un avenir rapproché, des tracteurs robotisés reliés à une base de données pourront sillonner les champs en semant à chaque endroit une quantité exacte de semence et de fertilisant, permettant de ce fait d’abaisser le niveau de consommation énergétique, de pollution et de gaspillage. Shutterstock
Lenore Newman, University of The Fraser Valley and Evan Fraser, University of Guelph
L’impact de l’exploitation agricole sur notre planète est énorme. Environ 40 % des terres arables sont soit cultivées, soit dédiées au pâturage Le nombre d’animaux à usage domestique dépasse de loin celui des espèces sauvages. Chaque jour, un nombre croissant de forêts perdent leur combat contre l’invasion des récoltes et des pâturages : annuellement, la perte d’une surface équivaut à la taille du Royaume-Uni.
Si l’humanité espère toujours s’attaquer au changement climatique, il faut revoir notre agriculture.
Le contexte de la Covid-19 a également révélé les faiblesses de notre chaîne alimentaire. Les agronomes savent depuis des décennies que le travail agricole est à la fois difficile et exploiteur de main d’œuvre. Cela devrait donc ne surprendre personne que les propriétaires fermiers aient eu du mal à trouver des travailleurs pour faire tourner leurs fermes tout en devant se débattre pour assurer des conditions sanitaires les protégeant contre le virus.
De même, les chaînes d’approvisionnement de type « juste- à-temps », quoiqu’efficaces, n’offrent aucune flexibilité en cas de problème. Et repousser les terres arables vers des espaces sauvages risque de nous exposer à des bassins de virus qui deviennent dévastateurs lorsqu’ils entrent en contact avec la population humaine.
Pour faire face à ces défis, de nouvelles technologies laissent entrevoir une approche plus verte à la production alimentaire, à base de végétaux, disponible à l’année longue, locale et intensive. Mises en place correctement, trois innovations technologiques — l’agriculture verticale, l’agriculture cellulaire et l’agriculture de précision — pourraient bouleverser notre relation à la terre et à notre nourriture.
L’agriculture dans des boîtes
L’agriculture verticale, celle qui consiste à faire pousser la nourriture dans des boîtes empilables, n’est pas une nouveauté : elle existe depuis l’époque romaine. Ce qu’il y a de nouveau, c’est l’efficacité de l’éclairage au DEL et des techniques robotiques de pointe qui permettent à cette méthode d’augmenter une récolte par un facteur de 20 par rapport à une surface identique cultivée dans un champ.
À ce jour, la plupart des fermes verticales ne produisent que de la verdure, comme la laitue, les fines herbes et des petits légumes verts, car ce sont là des récoltes qui poussent rapidement et sont profitables. Mais d’ici cinq ans, il sera possible de faire pousser bien plus d’aliments au fur et à mesure de la baisse des tarifs électriques et des progrès techniques.
L’environnement contrôlé que permet l’agriculture verticale réduit le besoin en pesticides et herbicides, permet le recyclage de l’eau, et offre le potentiel d’un bilan carboneutre. Que ce soit sous des climats froids ou chauds où il est difficile, voire impossible de faire pousser des récoltes de produits fragiles, l’agriculture verticale nous permettra de mettre fin à l’importation coûteuse et destructrice pour l’environnement de petits fruits et d’avocats, en provenance de Californie, par exemple.
L’agriculture cellulaire, qui permet de produire de la viande sans animaux présage des changements encore plus radicaux. Rien qu’en 2020, des centaines de millions de dollars ont été investis dans ce secteur, et les premiers produits ont été mis sur le marché ces derniers mois. Dont la « crème glacée Brave Robot » fabriquée sans la contribution des vaches ainsi que le poulet « Eat Just », qui jamais ne caqueta…
Autre avancée : l’agriculture de précision. C’est dans un avenir rapproché que des tracteurs robotisés, reliés à des bases de données, sillonneront les champs pour semer la quantité exacte de semence et de fertilisant à chaque endroit, permettant de ce fait d’abaisser le niveau de consommation énergétique, de pollution et de gaspillage.
Combiner l’agriculture verticale, cellulaire et de précision devrait nous permettre de produire plus de nourriture sur moins de surface et avec moins d’intrants. Idéalement, nous serons en mesure de produire n’importe quelle récolte n’importe où et à n’importe quelle saison, et de ce fait éliminer le besoin de chaînes d’approvisionnement longues, vulnérables et grandes consommatrices d’énergie.
Sommes-nous prêts pour l’agriculture 2.0 ?
Bien sûr, ces avancées technologiques ne sont pas une panacée — aucune technologie ne l’est jamais vraiment. Premièrement, bien que les progrès aillent en s’accélérant, ces solutions ne sont pas tout à fait prêtes à être déployées à grande échelle. Elles sont encore trop chères pour les petites et moyennes exploitations agricoles, et pourraient de ce fait encourager la consolidation dans l’industrie.
Certains consommateurs et théoriciens de l’alimentation expriment des réserves : pourquoi ne pas continuer à produire notre nourriture comme le faisaient nos parents et nos grands-parents avant nous ? Les critiques de l’approche technologique suggèrent une démarche éco-agricole aussi appelée agriculture régénératrice afin d’aboutir à une production durable par l’encouragement d’exploitations de petite taille destinées à la consommation locale. Si cette approche est prometteuse, il n’est pas certain qu’elle soit réalisable à grande échelle.
La viande cultivée pourrait-elle devenir monnaie courante sur les étagères des épiceries dans la décennie à venir ? Shutterstock
S’il s’agit là d’éléments sérieux, il n’existe pas de solution universelle lorsqu’on traite de sécurité alimentaire. Par exemple, les méthodes alternatives de récoltes à petite échelle sont aussi sujettes au manque de personnel et tendent à produire de la nourriture chère qui n’est pas à la portée des personnes à faible revenu. Mais point n’est besoin de tout peindre en noir et blanc. Il y a des avantages et des inconvénients à toutes ces approches, et nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs climatiques et de sécurité alimentaire sans y incorporer des technologies agricoles.
Pour un avenir agricole porteur d’espoir
En combinant les meilleurs éléments de l’agriculture alternative (c’est-à-dire l’engagement envers le développement durable et la nutrition) avec les meilleurs éléments de l’agriculture conventionnelle (c’est-à-dire l’efficacité économique et la faculté de produire à grande échelle) et les nouvelles technologies décrites dans cet article, nous pouvons nous engager vers une révolution agricole qui, combinée à des politiques publiques progressives en matière salariale, alimentaire, de bien-être animal et de respect de l’environnement, nous permettra de produire de la nourriture en abondance tout en réduisant l’empreinte agricole sur la planète.
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Cette approche révolutionnaire « en circuit fermé » est déjà en marche : dans les champs et les laboratoires, tels que les serres expérimentales aux Pays-Bas, les fermes piscicoles singapouriennes, jusqu’aux entreprises agricoles cellulaires de la Silicon Valley.
Grâce à l’éclairage LED des concombres hydroponiques poussent en serre. Lenore Newman
Les fermes en circuit fermé limitent l’usage des pesticides, demandent peu de terre et d’énergie, et permettent de recycler l’eau. Elles peuvent assurer la production au niveau local à l’année longue, réduire la dépendance aux tâches répétitives, améliorer le bilan environnemental et le bien-être animal. Si l’on associe ces pratiques à de bonnes politiques, nous pourrions envisager de rendre une partie des terres arables à la nature, aux parcs ou encore à des refuges fauniques.
Notre monde a été façonné par une révolution agricole qui débuta il y a de cela des dizaines de milliers d’années. La révolution à venir sera tout aussi novatrice. La Covid-19 a dévoilé les faiblesses de notre chaîne alimentaire, mais les perspectives pour cette industrie aussi ancienne que vitale pourraient bien devenir une belle histoire.
Lenore Newman, Canada Research Chair, Food Security and the Environment, University of The Fraser Valley and Evan Fraser, Director of the Arrell Food Institute and Professor in the Dept. of Geography, Environment and Geomatics, University of Guelph
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.
« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres et officiels de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.