Le texte suivant est le premier d’une série de deux portant sur la transformation de la justice contradictoire vers la participation et la collaboration entre les protagonistes à un conflit.
LA JUSTICE COLLABORATIVE : CONFIANCE, CRÉATION ET CONSENSUS
Une grande proportion des conflits touchant la justice qui affectent les personnes comme les communautés s’inscrivent dans le cours de relations.
Qu’il s’agisse de relations familiales, liées au voisinage, au travail ou plus généralement à des enjeux sociétaux comme les échanges internationaux, l’environnement ou les droits de la personne, les conflits impliquent non seulement des rapports interpersonnels qui ont un passé, mais aussi qui demeurent porteurs de potentiels relationnels dans l’avenir. Souvent la source de ces conflits émerge de malentendus, de différentes perspectives – voire de points de vue opposés ou contradictoires – et d’intérêts divergents vis-à-vis une même situation. Ces malentendus finissent par s’envenimer et dégénérer en conflits qui deviennent de plus en plus enchevêtrés avec des rapports interpersonnels brisés ou en voie d’être irrémédiablement rompus.
Des limites du contradictoire et de l’adversité
Dans notre système juridique contradictoire, l’affrontement constitue l’approche privilégiée où la personne ou l’organisation qui se sent blessée et lésée attaque « l’adversaire » afin de faire valoir son « droit ». Par exemple, la lettre de mise en demeure, une formule classique et banale pour les juristes, symbolise l’adversité sur laquelle repose notre système de justice tout entier. Cette lettre consiste à expliquer formellement à l’autre « partie » ce qui lui est reproché, à lui faire part de ce qu’elle peut faire pour régler la situation sous la menace d’une poursuite judiciaire éminente. La mise en demeure s’avère véritablement intimidante et elle évoque la peur pour ceux et celles qui la reçoivent. Comme elle représente une agression, elle place la ou le récipiendaire dans une position de défensive peu ouverte au dialogue et à l’échange. En somme, l’approche contradictoire envenime le conflit dès l’origine.
Or, s’il est juste d’affirmer que plusieurs conflits reposent sur des malentendus et des intérêts divergents, pourquoi provoquer ou envenimer la querelle ? Si ces conflits s’inscrivent sur fond relationnel, pourquoi ne pas s’appuyer sur ce passé interpersonnel pour rétablir des liens plus sains pour l’avenir ou pour bien réussir sa rupture ? N’y aurait-il pas lieu de plutôt susciter la communication et l’échange d’informations entre les personnes ou les organisations qui vivent un différend ? Pourquoi ne pas miser sur la collaboration plutôt que sur l’adversité pour résoudre le conflit ou, à tout le moins, pour trouver une ou des solutions sur mesure viables pour les protagonistes ?
Donner confiance et promouvoir l’empowerment
Pour favoriser une justice de la collaboration, il faut d’abord faire confiance aux citoyennes et aux citoyens et favoriser leur empowerment. Avoir confiance que les personnes en conflit connaissent mieux que quiconque leurs besoins et leurs intérêts, qu’elles ont les capacités et les habiletés pour trouver les solutions les plus adéquates à leur contexte et pour prendre les meilleures décisions pour elles-mêmes. Avoir confiance qu’elles sauront conclure ou non une entente afin d’atteindre un sentiment de justice adapté à leurs circonstances particulières. Enfin, avoir confiance que les protagonistes à un conflit respecteront une entente qu’ils ont conclue volontairement.
La démarche collaborative suppose une justice participative. Comme son nom l’indique, la justice participative propose aux personnes qui rencontrent un problème de nature juridique de participer activement à trouver une solution à leur conflit. La justice participative tire sa source d’une volonté d’améliorer la gestion des conflits au bénéfice des personnes impliquées. Un aspect majeur de la justice participative est l’importance – voire l’obligation – pour les juristes d’informer et de conseiller chaque protagoniste en conflit sur les différentes façons de régler le conflit qui l’oppose à d’autres. Cette information permet aux personnes impliquées de choisir, en toute connaissance de cause, le processus et la solution qui lui convient le mieux pour régler le conflit. La justice participative favorise des méthodes axées sur la recherche de solutions qui visent une amélioration de l’accès à la justice. Ces méthodes qui incluent notamment la négociation et la médiation ainsi que tout autre mode qui convient aux parties (article 1, N.C.p.c., L.R.Q., c. C-25.01) sont généralement moins coûteuses, plus rapides et souvent aussi efficaces que le recours judiciaire. Ces modes de résolution de conflits peuvent être tentées par les protagonistes eux-mêmes ou avec l’aide de professionnels formés pour les accompagner, par le biais de divers processus communicationnels, dans la recherche de solutions adaptées à leur situation. L’article 1 du nouveau Code de procédure civile du Québec (L.R.Q. c. C-25.01), mis en vigueur le 1er janvier 2016, édicte : « Les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux. » Enfin, le recours à des modes fondées sur l’autorité, où arbitre ou juge détiennent le pouvoir de prendre des décisions, demeure toujours ouvert faute d’arriver à un consensus autrement.
Valoriser la créativité et l’imagination
Pour favoriser la justice par la collaboration, il importe de privilégier des processus susceptibles de faire appel à la créativité des protagonistes en conflit. Les processus choisis pour prévenir que le différend s’envenime et pour le résoudre doivent permettre aux protagonistes de s’expliquer non seulement sur ce qui a conduit au malentendu qui les oppose, mais surtout d’imaginer des options et, éventuellement, des solutions susceptibles de leur permettre d’aller de l’avant pour l’avenir. La créativité et l’imagination jouent un rôle clef dans la détermination des manières possibles de résoudre le différend. Si le droit offre une manière d’appréhender le problème, l’appel à la créativité ouvre la porte à plusieurs autres façons de le résoudre qui peuvent faire appel à des règles juridiques, mais aussi à des normes sociales, culturelles, économiques, politiques, etc. Dans la recherche d’options, les protagonistes sont appelés à imaginer des solutions sur mesure adaptées à leur contexte qu’elles s’engagent à respecter. En ce sens, le recours à la créativité et à l’imagination s’inscrit dans la démarche d’empowerment des personnes impliquées dans le différend. En effet, les protagonistes à un conflit participent ensemble à trouver la solution de justice qui leur convient, qu’ils soient ou non accompagnés de professionnels en prévention et en règlement des différends.
Rechercher le consensus
Pour promouvoir la justice par la collaboration, il faut rechercher le consensus plutôt que la victoire sur l’autre. La victoire, si victoire il y a, se remporte avec l’autre et non aux dépens de l’autre. La collaboration appelle des solutions « gagnant-gagnant ». Dans le cadre de leurs négociations, les protagonistes en conflit acceptent de ne pas obtenir l’entièreté de leurs demandes, mais suffisamment pour conclure des ententes mutuellement satisfaisantes et réalistes qui préservent leur dignité. La démarche collaborative se tourne résolument vers l’avenir en ce qu’elle recherche des solutions sur mesure qui sont réalisables et susceptibles d’être exécutées par les personnes en présence. L’approche consensuelle repose sur la collaboration entre les protagonistes et les personnes qui les conseillent dans la recherche d’un objectif commun ou d’une saine rupture.
Le prochain texte portera sur les prérequis, les limites et les possibilités de la justice collaborative. Parmi ces possibilités, il abordera une conception de la justice comme une quête fondée sur la recherche d’un sentiment de justice.
[1] Des parties des textes qui suivent ont été publiés : Sauver la justice par la collaboration » dans Benyekhlef K., Régis C. et Weinstock D., Sauvons la justice, Del Busso, Montréal, 2017, chapitre 3, 21-29 et Repenser la justice civile comme une quête » en collaboration avec Linda Bérubé, publié sur le site de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé : http://www.chairesante.ca/articles/2017/sauver-la-justice-civile-par-une-quete/ (avec comité de lecture, 1 000 visites d’utilisateurs distincts par mois fréquenté principalement par des personnes du Canada, des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne).
[2] Des parties des textes qui suivent ont été publiés : Sauver la justice par la collaboration » dans Benyekhlef K., Régis C. et Weinstock D., Sauvons la justice, Del Busso, Montréal, 2017, chapitre 3, 21-29 et Repenser la justice civile comme une quête » en collaboration avec Linda Bérubé, publié sur le site de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé : http://www.chairesante.ca/articles/2017/sauver-la-justice-civile-par-une-quete/ (avec comité de lecture, 1 000 visites d’utilisateurs distincts par mois fréquenté principalement par des personnes du Canada, des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne).
[3] Les deux textes portent sur la justice civile qui désigne le domaine du droit privé qui gère les rapports entre les personnes physiques et/ou les corporations et les organisations. La justice civile inclut notamment les rapports juridiques qui touchent les contrats; la famille; l’acquisition, la vente, le prêt de biens; les testaments et les successions; les relations de travail et les rapports commerciaux. La justice civile porte sur les rapports pacifistes entre les protagonistes à un conflit par opposition à ceux qui appartiennent au droit pénal et criminel.
« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.