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La science et la technologie, telles qu’elles sont enseignées à l’école aujourd’hui sont à l’image du passé; elles sont présentées comme le monopole et l’autorité qu’elles représentaient jadis. Shutterstock

Patrice Potvin, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Depuis quelques années, on assiste à un déclin progressif de la confiance de la population à l’égard de l’institution scientifique. L’année 2020 aurait même été l’« année de tous les complots », au sens où ces derniers auraient explosé en raison de l’« isolement, de l’anxiété et du chômage ».

L’apparition d’un danger existentiel comme la Covid-19 aurait exacerbé les tensions sur le web, entre voisins et parfois même au sein d’une même famille, entre ceux qui croient détenir la vérité et les autres, qui croient la détenir aussi. Par exemple, la crédibilité et la sécurité des vaccins, bientôt largement disponibles, se retrouvent avec raison au centre des préoccupations.

Le marché des vérités

La confiance implique l’acceptation volontaire que les actions et les décisions d’un tiers, présumé bienveillant, puissent avoir des répercussions sur soi. Il apparaît donc légitime qu’elle doive d’abord être gagnée. Elle peut l’être d’au moins deux manières : soit par la bonne réputation du tiers ou par des contacts directs entretenus avec lui et ayant abouti à des issues favorables.

Devant les immenses succès qu’ont connu les sciences et les technologies au cours des derniers siècles, il est difficile de comprendre comment et pourquoi la confiance envers celles-ci s’effrite. Parmi les explications possibles, on peut certainement soupçonner la qualité et la fréquence grandissante de toutes sortes de messages pseudo scientifiques (ou scientifiquement pauvres) auxquels sont exposés les citoyens dans les réseaux sociaux.

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Il ne s’agirait donc pas ici d’un problème de démocratisation de l’information, cette dernière étant déjà largement accessible, mais d’une démocratisation de la « production » d’information. Aujourd’hui, n’importe qui peut produire et diffuser du contenu. Et lorsqu’il s’organise avec d’autres, son pouvoir est ainsi décuplé. Dans un réseau social, des chambres d’écho créent des microcommunautés « savantes », où les mêmes contenus, vrais ou faux, sont répétés à l’infini sous diverses formes. Voilà une nourriture parfaite pour alimenter le biais de confirmation.

Dans ce véritable « marché » des vérités, le politique souffre de multiples ruptures idéologiques exacerbées, comme on a pu le voir par exemple lors de l’assaut du Capitole américain par des adeptes de QAnon. Le scientifique en souffre aussi.

L’autorité de la science ébranlée

Ceci tranche avec la réalité d’il y a quelques années, où la production et la diffusion de contenus étaient compliquées, contraintes et filtrées par les processus éditoriaux. La confiance qu’on entretenait à l’égard des sciences était alors basée sur la réputation, corroborée et réverbérée dans l’immense majorité de ce qui était publié.

Mais il apparaît désormais difficile de compter sur une crédibilité fondée sur les messages médiatiques ordinaires et de construire par autorité la confiance de l’ensemble de la population à l’égard des contenus scientifiques. Il y a trop de concurrence.

Il apparaît tout aussi difficile de compter sur les journalistes. Mis à part les auteurs de reportages approfondis, ils sont contraints par les formats de proposer des angles souvent sensationnalistes, à accepter qu’on coiffe leurs articles de titres racoleurs, et à insister sur les promesses et aspects spectaculaires, mais marginaux, des actualités scientifiques, au détriment des processus par lesquels les propositions scientifiques sont crédibilisées.

Des pistes de solutions

Pour régler le problème, il a souvent été suggéré d’augmenter le niveau de littératie scientifique de la population, de manière à ce qu’elle puisse exercer son jugement quant aux conclusions énoncées dans les recherches publiées. Mais cela relève vraisemblablement de l’angélisme, car souvent, même les experts (comme moi, en didactique des sciences) peinent à y arriver dans leur propre champ.

S’il est souhaitable de développer un esprit critique et une attitude sceptique, ce n’est pas toujours suffisant pour permettre des discernements constructifs. Il faut aussi posséder des savoirs (très) spécialisés et avoir une connaissance quasi professionnelle des processus de la recherche, choses évidemment impossibles à obtenir de chaque citoyen pour tous les sujets.

La société, dans ses dimensions scientifiques comme dans les autres, requiert donc obligatoirement l’existence d’un minimum de « confiance aveugle » pour fonctionner. Mais puisque cette dernière ne peut pas être obtenue par autorité, et puisque l’appareil médiatique peine à la favoriser, il reste la piste de solution du contact direct. Or, celui-ci ne saurait être imposé autrement que par l’école, seul véritable lieu de fréquentation obligatoire.

L’école et sa responsabilité

Malheureusement, la science et la technologie sont enseignées aujourd’hui en fonction d’une image du passé : comme un monopole coiffé de l’autorité qu’elles représentaient jadis. L’école se contente souvent de présenter, d’expliquer, de valoriser et de vanter les pouvoirs des produits finaux de la science pour engendrer l’adhésion et la confiance. On ne s’attarde que très peu aux processus internes qui produisent la science, à son histoire ou à ses limites.

Du point de vue des élèves, il devient donc difficile de distinguer la science d’une religion, d’une vente ordinaire, d’une pseudoscience ou d’une élite politique puisqu’elle travaille à « persuader » plutôt qu’à « convaincre ». La nuance ici est importante, car si « persuader » ne vise qu’à obtenir l’ultime adhésion, « convaincre » s’attarde aux raisons pour lesquelles il est avantageux d’adhérer. Alors qu’on peut « persuader » simplement par autorité ou par la répétition, on doit « convaincre » sur la base de faits et par contraste avec d’autres possibilités, alors perçues comme moins fertiles.

Pas une vérité irréfutable

L’enseignement des sciences devrait alors tenter de faire vivre aux élèves des simulations de démarches d’investigation. Il devrait insister sur les processus et les critères par lesquels les avantages que procurent les vaccins deviennent convaincants au regard des risques. L’école doit cesser d’enseigner les connaissances scientifiques comme des vérités irréfutables, mais plutôt comme des propositions, qui sont « éprouvées » (et non pas seulement prouvées) sur une base continue par des communautés entières et organisées de personnes bienveillantes. Elle doit montrer comment et en quoi le savoir scientifique s’oppose souvent au sens commun et comment il est fascinant et utile.

Pour y parvenir, il apparaît nécessaire de mieux former les enseignants à l’épistémologie et de les libérer de la contrainte abrutissante des examens ministériels à choix multiples, des discours dogmatiques et des cahiers d’exercices répétitifs à vocation transmissive. Grâce à des arguments rationnels et des expériences transformatrices, il faut convaincre les élèves que la science ne produit pas des connaissances comme les autres. Et que travailler à mériter notre confiance, c’est ce qu’elle fait à temps plein.

The Conversation

Patrice Potvin, Professeur en didactique des sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres et officiels de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.

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