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La technicienne médicale Amira Doudou prépare des échantillons à l’Institut hospitalo-universitaire des maladies infectieuses de Marseille, en France, le 13 janvier 2021, pour étudier le variant hautement contagieux de la Covid-19. (AP Photo/Daniel Cole)

Sally Otto, University of British Columbia

Un nouveau variant du coronavirus s’est propagé rapidement au Royaume-Uni et a été détecté, selon les derniers chiffres de l’OMS, dans plus de 70 pays, dont le Canada, où il est à l’origine d’une éclosion mortelle dans une résidence pour personnes âgées de Barrie, en Ontario.

L’idée que de nouvelles souches puissent se répandre plus facilement inquiète les scientifiques.

En tant que biologiste de l’évolution, j’étudie comment les mutations et la sélection se combinent pour modeler les changements dans les populations au fil du temps. Nous n’avions encore jamais eu autant de données en temps réel sur l’évolution qu’avec le SARS-CoV-2 : plus de 380 000 génomes ont été séquencés l’année dernière.

Le SARS-CoV-2 a muté au fur et à mesure de sa propagation, générant de minuscules différences dans son génome. Ces mutations permettent aux scientifiques de retracer qui est apparenté à qui dans l’arbre généalogique du virus.

Des biologistes en évolution, dont je fais partie, ont mis en garde contre une surinterprétation de la menace posée par les mutations. La plupart des mutations n’aideront pas le virus, tout comme il est peu probable qu’un coup de pied donné au hasard sur une machine en marche en améliore le fonctionnement.

Mais de temps en temps, une mutation ou une série de mutations confère un avantage au virus. Les données sont convaincantes : les mutations présentes dans le variant apparu au Royaume-Uni, connu sous le nom de B.1.1.7, rendent ce dernier plus « adapté ».

Plus adapté ou plus chanceux ?

Quand un nouveau variant s’est répandu, les scientifiques cherchent la raison de sa propagation. Un virus porteur d’une mutation particulière peut devenir plus fréquent dans plusieurs situations :

  • s’il a été transporté par un super-contaminateur ;

  • s’il s’est retrouvé dans un lieu où l’infection n’était pas présente ;

  • s’il a été introduit dans un nouveau segment de la population.

Ces deux derniers exemples sont appelés « événements fondateurs » : une augmentation rapide de la présence d’un variant peut se produire s’il est introduit dans un nouveau groupe et déclenche une épidémie locale. Des événements fortuits peuvent expliquer la hausse de la fréquence de l’apparition de nouveaux variants du SARS-CoV-2.

Mais le B.1.1.7 est une exception. Il présente un signal de sélection très fort. Au cours des deux derniers mois, la fréquence du B.1.1.7 a augmenté plus vite que celle des variants non-B.1.1.7, et ce, pratiquement chaque semaine et dans toutes les régions sanitaires d’Angleterre. Ces données, rapportées le 21 décembre 2020, ont contribué à convaincre le premier ministre britannique Boris Johnson de mettre une grande partie du pays en quarantaine et ont donné lieu à une interdiction généralisée de voyager depuis le Royaume-Uni.

 

La montée du B.1.1.7 ne peut s’expliquer par un événement fondateur dans de nouvelles régions, car la Covid-19 circulait déjà partout au Royaume-Uni. Des événements fondateurs dans un nouveau segment de la population (par exemple, après une conférence) sont également peu probables étant donné les restrictions concernant les grands rassemblements.

Notre suivi de l’évolution du SARS-CoV-2 est possible grâce à l’immense effort des scientifiques pour partager et analyser les données en temps réel. Mais les connaissances incroyablement détaillées dont nous disposons sur le B.1.1.7 sont aussi une affaire de chance. Une de ses mutations a modifié une section du génome dont on se sert pour faire les tests de Covid-19 au Royaume-Uni, ce qui a permis de dresser le tableau de la propagation évolutive à partir de plus de 275 000 cas.

L’évolution en direct

Les épidémiologistes ont conclu que le B.1.1.7 est plus transmissible, mais qu’il n’y a rien qui indique qu’il soit plus mortel. Des chercheurs estiment que ce variant augmente de 40 à 80 % le nombre de nouveaux cas causés par un individu infecté (ce qu’on appelle taux de reproduction ou Rt) ; une autre étude préliminaire parle d’une hausse de 50 à 74 %.

Une femme pousse un chariot à bagages à l’aéroport de Heathrow à Londres, le 18 janvier 2021. AP Photo/Matt Dunham

Une hausse de 40 à 80 % signifie que le B.1.1.7 n’est pas seulement un peu plus adapté, mais qu’il l’est beaucoup. Même lorsque la sélection est aussi forte, l’évolution n’est pas instantanée. Notre modélisation mathématique, ainsi que celle d’autres chercheurs au Canada et aux États-Unis, montre que le B.1.1.7 a dû mettre quelques mois pour atteindre une ascension aussi fulgurante, car seule une petite fraction des cas portait initialement le nouveau variant.

Pour de nombreux pays, où le nombre de cas de Covid-19 augmente de façon inquiétante, une variante qui accroît la transmission de 40 à 80 % risque de faire déborder la marmite. Cela pourrait entraîner une croissance exponentielle du nombre de cas et surcharger le système hospitalier qui est déjà dépassé. Les changements évolutifs prennent du temps, ce qui nous laisse peut-être quelques semaines pour nous préparer.

D’autres variants

Les chercheurs ont été surpris de voir que le B.1.1.7 porte un nombre remarquable de nouvelles mutations. Il en a accumulé de 30 à 35 au cours de la dernière année. Ce n’est pas que le taux de mutation du B.1.1.7 soit plus élevé, mais qu’il semble avoir connu une évolution rapide dans un passé relativement récent.

Chaque point représente un génome du SARS-CoV-2, avec des branches reliant les virus à leurs ancêtres. Le centre représente le virus qui a été transmis à l’humain. Les virus les plus éloignés du centre sont porteurs d’un plus grand nombre de mutations. Les trois nouveaux variants sont couleur or. NextStrain, CC BY

Le virus peut avoir infecté un sujet immunodéprimé. Les personnes dont le système immunitaire est plus faible combattent le virus de manière continue, causant une infection qui dure longtemps, des cycles récurrents de réplication virale et une réponse immunitaire partielle à laquelle le virus réagit par une évolution constante.

Des rapports de recherche préliminaires qui doivent encore être vérifiés ont décrit deux autres variants préoccupants : l’un originaire d’Afrique du Sud (le B.1.351) et l’autre du Brésil (le P1). Ces deux variants présentent une histoire récente de mutations élevées et une augmentation rapide de la présence au sein des populations locales. Les scientifiques rassemblent actuellement les données nécessaires pour confirmer que c’est la sélection pour une transmission plus élevée, et non le hasard, qui en est responsable.

Pourquoi la transmission s’est-elle améliorée ?

La sélection joue deux rôles dans l’évolution de ces variants. Il faut d’abord considérer le rôle chez les personnes à l’intérieur desquelles un grand nombre de mutations sont apparues. Les 23 mutations de B.1.1.7 et les 21 mutations de P1 ne sont pas disposées au hasard dans le génome, mais regroupées dans le gène qui code pour la protéine de spicule.

Une modification dans cette protéine, la N501Y, est apparue de façon indépendante pour les trois variants, ainsi que chez des patients immunodéprimés étudiés aux États-Unis et au Royaume-Uni. D’autres modifications du spicule (comme E484K et del69-70) ont été observées dans deux des trois variants.

De plus, les trois variants partagent une mutation qui ne concerne pas la protéine de spicule et qui supprime une petite partie de la « protéine non structurale 6 » (NSP6). Nous ne savons pas encore ce que fait cette délétion, mais dans un coronavirus apparenté, la NSP6 trompe le système de défense cellulaire et peut favoriser l’infection par le coronavirus. La NSP6 détourne également ce système pour aider à copier le génome viral. Quoi qu’il en soit, la délétion pourrait modifier la capacité du virus à s’installer et à se répliquer dans nos cellules.

Transmission améliorée

L’évolution parallèle des mêmes mutations dans différents pays et chez différents patients immunodéprimés suggère qu’elles apportent un avantage sélectif qui permet au virus d’échapper au système immunitaire des individus chez lesquels elles se sont produites. Pour la N501Y, cela a été confirmé par des expériences sur des souris.

Mais qu’est-ce qui explique le taux de transmission plus élevé ? Il est difficile de répondre à cette question, car les nombreuses mutations qui sont apparues en même temps sont maintenant regroupées dans ces variants, et ce pourrait être n’importe laquelle ou une combinaison de celles-ci qui ont conduit à l’amélioration de la transmission.

Cela dit, plusieurs de ces variants étaient apparus seuls auparavant et n’avaient pas causé une accélération de la propagation. Une étude a montré que la N501Y n’avait en soi qu’un faible avantage de transmission, qui n’augmentait rapidement que si associée à la série de mutations observées chez le B.1.1.7.

Alors que l’histoire de l’évolution de la Covid-19 est en cours d’écriture, nous venons de recevoir un avertissement. L’avantage de transmission de 40 à 80 % du B.1.1.7, et potentiellement des variants B.1.351 et P1, va submerger de nombreux pays dans les prochains mois.

Nous sommes dans une course contre l’évolution virale. Nous devons déployer les vaccins le plus rapidement possible, endiguer la production de variants en limitant les interactions et les déplacements, et devancer la propagation en intensifiant la surveillance et la recherche des contacts.

The Conversation

Sarah Otto, Killam University Professor in Evolutionary Biology, University of British Columbia

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

 

« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres et officiels de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.

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