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UNE ENQUÊTE SUR LES ENQUÊTES : QUAND NOUS ENGAGERONS-NOUS À RÉSOUDRE LES PROBLÈMES LIÉS AUX SOINS DE LONGUE DURÉE ?

Eric KC Wong, Trina Thorne, Carole Estabrooks, et Sharon E. Straus | 25 novembre 2020

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Au 7 novembre 2020, on recensait 2 026 cas de COVID-19 dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au Canada, entraînant 7 366 décès. De tous les pays développés, le Canada est celui qui compte la plus forte proportion de décès dus à la COVID-19 dans les CHSLD. La proportion de décès dus à la COVID-19 dans les CHSLD au Canada était de 81 %, contre une moyenne de 42 % dans les autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pourquoi un pays doté d'un système de soins de santé public de premier plan est-il moins performant pendant cette pandémie ? 

L'Ontario a réagi en créant une commission chargée d'enquêter sur la crise de la COVID-19 dans les soins de longue durée (SLD), qui a abouti à un engagement en faveur d’un nombre croissant d’heures de soins directs. D'autres provinces, dont le Québec, l'Alberta et la Nouvelle-Écosse, ont lancé leurs propres études et enquêtes. Il n'est pas surprenant que les gouvernements veuillent étudier un problème pour trouver une solution. Cependant, cette crise n'est pas nouvelle. Pour les parties prenantes des SLD, telles que les résidents, les familles et les prestataires de soins, cette crise perdure depuis des années. 

En juin 2020, la Société royale du Canada a publié « Rétablir la confiance : la COVID-19 et l'avenir des soins de longue durée ». Ses auteurs ont examiné 80 rapports canadiens sur les soins de longue durée réalisés au cours des 30 dernières années. Dans notre analyse des rapports, nous avons trouvé 12 recommandations, chacune ayant été proposée jusqu'à 35 fois au cours de la dernière décennie (https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.11.17.20233114v1). Les 3 recommandations les plus courantes ont été citées dans plus de 50 % des rapports. Il s’agit plus précisément, (i) d’augmenter le financement des SLD, (ii) de normaliser ou de réglementer la qualité des soins, et (iii) d’améliorer le niveau d'éducation et la formation du personnel soignant. Notre analyse illustre les efforts répétés menés par diverses organisations professionnelles et à but non lucratif pour examiner les problèmes et, dans certains cas, pour tirer la sonnette d'alarme de la crise des SLD, mais qui n'ont abouti qu'à l'inaction.

Toutes les organisations n'ont pas fait les mêmes recommandations. Les rapports rédigés par le gouvernement, tels que le rapport Wettlaufer, ont principalement portés sur l'amélioration de la collecte de données, la normalisation de la qualité des soins dans les CHSLD et l'amélioration de la transparence lors d'incidents critiques. Les associations professionnelles ont quant à elles le plus souvent recommandé de revoir la composition des effectifs (par exemple, infirmiers, infirmiers praticiens spécialisés et préposés au service de soutien à la personne) et d'augmenter le financement des soins directs. Les organisations à but non lucratif, y compris les défenseurs des politiques, ont le plus souvent recommandé d'améliorer l'éducation, la formation et le soutien au bien-être du personnel. La sagesse collective des diverses parties prenantes a permis de formuler un large éventail de recommandations qui, si elles avaient été mises en œuvre, auraient pu créer une main-d'œuvre résiliente et bien soutenue dans les CHSLD pour faire face à la pandémie actuelle.     

Nous avons évalué le coût direct et indirect de ces rapports et avons estimé que plus de 23 millions de dollars ont été dépensés pour produire des rapports, lancer des enquêtes et composer des commissions sur les SLD au Canada au cours des 30 dernières années. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont payé la majorité de ces coûts. L'enquête publique menée en 2019 sur la sécurité des résidents des foyers de soins de longue durée (le rapport Wettlaufer) en Ontario a coûté à elle seule au moins 9 millions de dollars selon les estimations du gouvernement. Un an plus tard, les Ontariens dépensent encore plus d'argent pour une autre enquête sur les SLD, alors que les problèmes sous-jacents identifiés lors des enquêtes précédentes ne sont toujours pas résolus.

Alors que nous nous engageons dans d'autres enquêtes sur la crise actuelle des CHSLD, nous devrions nous rappeler que chaque enquête coûte de l'argent, que ce soit directement (chercheurs rémunérés, impression et publication), indirectement (temps consacré par les experts et les témoins) ou comme coût d'opportunité (manque à gagner). Au lieu de constater les mêmes lacunes critiques en matière de SLD, le financement devrait être orienté vers la résolution des principales lacunes en matière de connaissances, telles que des pratiques de dotation en personnel appropriées.

La Société royale du Canada a commandé une étude des données disponibles sur les meilleures pratiques de dotation en personnel dans les CHSLD (https://osf.io/u3an4/). L'étude a extrait 3 recommandations qui permettront d'améliorer la qualité des soins immédiatement, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des enquêtes supplémentaires. Premièrement, les résidents doivent avoir accès à un médecin de famille ou à un infirmier praticien spécialisé endéans 24 heures dans chaque CHSLD. Cet accès permettra de traiter la maladie en temps utile et d'éviter des transferts inutiles à l'hôpital. Deuxièmement, des médecins spécialistes (par exemple, médecine gériatrique, soins palliatifs, psychiatrie gériatrique) doivent être à la disposition des résidents des CHSLD dans les situations où le médecin de soins primaires ou l'infirmier praticien spécialisé a besoin d'un soutien. Par exemple, les résidents atteints de démence peuvent développer des réactions qui nécessitent l'avis d'un expert sur le traitement approprié. Troisièmement, les résidents des CHSLD devraient être pris en charge par des infirmiers autorisés et des infirmiers praticiens spécialisés autorisés spécialement formés aux besoins des résidents. Ils devraient également avoir accès à d'autres prestataires de soins de santé tels que des pharmaciens, des physiothérapeutes, des orthophonistes, des diététiciens, des dentistes ou des hygiénistes dentaires.  

Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, le nombre minimal d'heures de soins directs quotidiens à prodiguer à chaque résident n'a pas été déterminé à l'aide de la norme scientifique appliquée à d'autres interventions sanitaires. Cela constitue une limitation importante dans l’alimentation des politiques de santé essentielles. En outre, la composition optimale du personnel soignant et de l'équipe de soins est incertaine, alors que ces connaissances sont essentielles pour garantir la qualité des soins et, surtout, la qualité de vie.

La pandémie de COVID-19 nous offre une opportunité de réflexion sur notre société. Nous vivons un événement qui a eu des répercussions dans tous les aspects de nos vies. Il nous faudra du temps pour nous remettre sur pied sur le plan économique et social. Cela étant, les personnes âgées vivant dans des CHSLD ne pourront pas se permettre le luxe de se rétablir. Contrairement à la plupart d'entre nous, elles ont supporté un nombre disproportionné de décès dus à la COVID-19, ce qui a engendré de grandes souffrances et un déni de dignité. Notre meilleure défense face à cette tragédie est un changement immédiat de politique et l'engagement des gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux à mettre en œuvre les recommandations déjà disponibles. Avançons sur le chemin du rétablissement et de l'espoir au lieu de revenir sur nos pas.

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 16 novembre 2020.

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