Vous êtes ici


« LA COVID NOUS DONNE L'OCCASION DE RENOUVELER LA SANTÉ PUBLIQUE »

Esyllt Jones, Heather MacDougall et Laurence Monnais | 29 Octobre 2020 

Télécharger l'article

Depuis la mise en place de l'assurance maladie à la fin des années 1960, la santé publique et la prévention sont passées au second plan dans la politique sanitaire du Canada. Étant donné que les services hospitaliers et médicaux deviennent plus coûteux, nous négligeons la capacité de prévention. La nouvelle épidémie de coronavirus est l'occasion de rééquilibrer la prévention et la guérison, en créant une véritable résilience dans un paysage pathologique en mutation.

La COVID-19 nous rappelle brutalement l’importance de maintenir les principes de base du contrôle des maladies transmissibles et l’inégalité de répartition du fardeau de la maladie. La pandémie reflète et renforce les impacts sanitaires différentiels dus à la pauvreté, au racisme et à l'inégalité.

Nous devrions planifier une approche intégrée par le biais d'une programmation soutenue en matière de santé publique et d'un renforcement des capacités par rapport aux épidémies, ainsi que d'investissements axés sur les structures sociales sous-jacentes de la santé et des maladies, afin de réduire les inégalités en matière de santé.

La santé publique ne reçoit qu'une infime partie de l'investissement global du Canada dans la santé. Dans certaines provinces, elle ne représente que 1,5 % du budget de la santé. Les conséquences de ce sous-financement chronique se font aujourd'hui ressentir de manière encore plus aiguë par les Canadiens, la dernière vague de Covid-19 ayant provoqué un pic d’infections. De plus, comme c'est généralement le cas lors d'une urgence de santé publique, les responsables de la santé publique font l'objet d'une surveillance accrue et subissent des reproches.

Des agences, telles que l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC), font de leur mieux dans un contexte difficile. Il ne faut pas oublier que les défis auxquels la santé publique est confrontée remontent à des décennies. 

Pendant la majeure partie des cinquante dernières années, l'approche fondamentale des décideurs politiques canadiens en matière de prévention (y compris la promotion de la santé et les déterminants sociaux) a consisté à parler intensivement de l'importance du contrôle des coûts des soins de santé, tout en privant la santé publique de ressources.

Les services médicaux assurés par l'État ne doivent pas nuire à la prévention. Dans les années 1930 et 1940, les modèles établissant une médecine entièrement socialisée préconisaient l'égalité d'accès aux soins de santé, mais aussi la nécessité d'intégrer la prévention et la guérison. Quant aux recommandations de la Commission Hall (1964-1965), elles portaient sur une assurance maladie nationale pour les soins hospitaliers et médicaux, mais n’appelaient pas à la prévention et à la santé publique. 

Conséquence imprévue de la mise en place de l'assurance maladie en 1966, la prévention et la guérison se sont affrontées dans une combat pour des ressources limitées. Il s’agit là d’un concours que la santé publique ne gagnera jamais. Lorsque la prévention fonctionne, les résultats ne sont pas visibles. Nombre de ses principaux outils sont connus depuis des siècles et sont rarement en tête d’affiche.

La transition vers la promotion de la santé, menée par le gouvernement libéral fédéral à partir des années 1970 et adoptée par les provinces, a créé deux tendances consécutives qui, ironiquement, ont contribué à affaiblir encore davantage la santé publique. En 1974, le rapport intitulé « Une nouvelle perspective sur la santé publique » (connu sous le nom de rapport Lalonde) a remis en question la primauté des soins médicaux et hospitaliers en suggérant que la biologie, l'environnement et les choix de vie étaient des facteurs plus importants que les soins de santé pour assurer la santé et la longévité d'un individu. Le rapport Lalonde, et plus tard le rapport « La santé pour tous » (1986), par leur discours de prévention et d'engagement communautaire, reflétaient une transition vers l'auto-instruction et la responsabilité individuelle (mieux manger, faire de l'exercice, arrêter de fumer, boire modérément), et se sont éloignés de la responsabilité collective pour la santé de la société.

Ce que certains ont appelé la « nouvelle santé publique », qui était censée rentabiliser davantage les soins de santé, a vu le jour dans un contexte plus large d'austérité et de coupes budgétaires. En 1977, à peine plus d'une décennie après l'adoption de la loi sur les soins médicaux, le gouvernement fédéral a mis fin au partage des coûts à parts égales avec les provinces. L'inflation et les répercussions économiques de la crise pétrolière (1973-1974) annonçaient ce qui allait devenir une très longue période d’assainissement des finances publiques et de modifications ultérieures de la politique de santé et de bien-être social par les gouvernements à tous les niveaux.

Malgré une politique de promotion de la santé et de prévention tournée vers l’extérieur, les programmes de santé publique de base tels que la vaccination ont dû en réalité rivaliser pour obtenir des ressources limitées. L'objectif plus large de combattre les inégalités à l'origine de la vulnérabilité aux maladies n'a pas été rencontré. 

Les campagnes de vaccination des enfants après la Seconde Guerre mondiale ont balayé les inquiétudes concernant les épidémies. Après le succès évident de la lutte contre la polio menée par l'État, les vaccins ont permis de contenir de nombreuses maladies autrefois courantes, telles que la rougeole, les oreillons et la rubéole. Au moins pendant un certain temps.

Le déclin général de ces maladies a toutefois masqué des problèmes persistants dans notre approche de santé publique. À titre d’exemple, le vaccin contre la rougeole a été commercialisé au Canada à partir de 1963. Cela étant, l'accès à la vaccination et l'acceptation des parents ont été remis en question par des facteurs politiques, sociaux et économiques. Le financement public inadéquat des programmes de vaccination, l'absence de normes nationales pour les calendriers de vaccination des enfants, le manque de formation en vaccinologie des médecins, les préoccupations émises par les parents sur la base des critiques sociétales de la biomédecine, le déclin de la confiance à l’égard des experts et le manque d'éducation à la santé ont contribué à l'apparition périodique de maladies infectieuses comme la rougeole. La baisse des taux de vaccination représente désormais un défi important pour le contrôle de la Covid-19, dans l’hypothèse d’une offre de vaccins efficaces.

La résurgence des maladies virales depuis l'apparition du VIH/SIDA au début des années 1980 a révélé les failles de notre réflexion. Les maladies infectieuses et les pandémies ne sont pas un problème du passé. Le VIH/SIDA et le SRAS étaient tous deux des signes avant-coureurs de la nécessité d'accorder une plus grande attention au système de santé publique du Canada. Ces signes n'ont pas été pris suffisamment au sérieux. 

Il semble que nous soyons maintenant destinés à reproduire un vieux schéma de débats menés par la crise et d'améliorations limitées, suivies plus tard d'une réduction du soutien du gouvernement à la santé publique.

Pour parvenir à une approche de la santé publique plus efficace et pluridimensionnelle, le public et les décideurs politiques canadiens doivent envisager la prévention des maladies sur la base d'une responsabilité collective. Une réponse collective exige une augmentation soutenue et stable des investissements en santé publique, et une plus grande reconnaissance de son rôle indispensable dans la planification de notre nouvelle réalité sanitaire, ce que certains spécialistes des sciences sociales appellent une « syndémie », à savoir une situation dans laquelle les inégalités chroniques en matière de santé et les maladies infectieuses se combinent pour accroître considérablement nos vulnérabilités, tant au niveau individuel que sociétal. La COVID nous donne l'occasion de modifier notre système pour un avenir meilleur.

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 29 octobre 2020.

Thumbnail: