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NOUS NE DEVRIONS PAS NOUS SATISFAIRE DES ATTITUDES ACCUEILLANTES DES CANADIENS À L’ÉGARD DES IMMIGRANTS

Victoria Esses, Leah Hamilton et Aurelie Lacassagne | 6 novembre 2020 

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Victoria Esses, University of Western Ontario, Leah Hamilton, Mount Royal University, et Aurelie Lacassagne, Laurentian University

Membres du groupe de travail de la Société royale du Canada sur la COVID-19 et l’immigration et sur les voies vers des partenariats prospères

Le 30 octobre 2020, le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marco Mendicino, a annoncé le nouveau plan canadien des niveaux d'immigration de 2021 à 2023. Par rapport au plan précédent, le nouveau plan prévoit une augmentation d'environ 50 000 immigrants par an pour 2021 et 2022 afin de compenser le déficit d'immigration pendant la pandémie que nous vivons actuellement. En effet, le déficit pour 2020 est estimé à au moins 100 000 immigrants. Des niveaux d'immigration élevés sont nécessaires pour répondre aux besoins démographiques, économiques et de développement régional, et ainsi soutenir l'avenir de notre pays. Les immigrants francophones sont particulièrement nécessaires pour soutenir la vitalité des communautés francophones minoritaires. Un récent communiqué du ministre a également indiqué que les candidats francophones recevraient des points supplémentaires dans le cadre du système Entrée express mis en place pour la sélection des immigrants économiques. Les réfugiés qui fuient la guerre, la violence et la persécution ont besoin de notre protection, et les augmentations annoncées par le ministre incluent également cette catégorie d’immigrants. 

Certains ont affirmé que des niveaux d'immigration élevés n’étaient pas nécessaires en ce moment en raison des retombées économiques de la pandémie et du taux de chômage actuellement élevé des personnes nées au Canada. Il s'agit là d'une vision à court terme, car elle pourrait influencer la réputation du Canada en tant que pays d'accueil pour les immigrants et donc notre capacité à long terme à attirer sur nos terres de jeunes immigrants hautement qualifiés. En outre, le programme d'immigration du Canada ne sera couronné de succès que si les Canadiens soutiennent l'installation et l'intégration des immigrants, qu'il s'agisse d'immigrants économiques ou autres, et offrent un environnement accueillant à ces nouveaux venus.

Ces dernières années, les Canadiens ont généralement eu une attitude parmi les plus positives au monde à l'égard des immigrants et de l'immigration, beaucoup indiquant que l'impact économique de l'immigration était positif, et que le multiculturalisme et la diversité étaient des caractéristiques qui rendaient le Canada unique. Dans une enquête réalisée en 2019 auprès de 145 pays, le Canada se classait à la première place des pays les plus accueillants pour les immigrants selon le Gallup’s Migrant Acceptance Index (indice d’acceptation des migrants de Gallup). Cela étant, même avant la pandémie, les points de vue n’étaient pas unanimes : les Canadiens moins éduqués, vivant en dehors des zones urbaines et soutenant les partis politiques de droite avaient tendance à moins bien accepter les immigrants. En outre, les attitudes à l’égard des réfugiés et des demandeurs d'asile ont largement fluctué, en fonction, dans une certaine mesure, de la couverture médiatique et des discours politiques. En 2010, plus de 60 % des Canadiens interrogés dans le cadre d'un sondage Angus Reid étaient d'accord avec l'affirmation selon laquelle les navires transportant des demandeurs d'asile tamouls au Canada auraient dû être refoulés et ne pas être autorisés à accoster au Canada. En 2015-2016, le soutien du gouvernement libéral à l'accueil des réfugiés syriens a coïncidé avec des attitudes fortement favorables aux réfugiés parmi les Canadiens. Cela étant, on a constaté par la suite une augmentation des attitudes négatives, peut-être en raison de la forte médiatisation des demandeurs d'asile entrant au Canada de façon irrégulière depuis les États-Unis. En outre, un sondage EKOS lancé en 2019 a révélé une polarisation croissante des opinions sur l'immigration des minorités visibles au Canada, 69 % des partisans conservateurs (contre 15 % des libéraux) estimant qu'il y avait trop d'immigrants de minorités visibles arrivant au Canada.

Quel est l'influence de la pandémie sur ces points de vue et quelles seront les conséquences pour notre pays ? D'une part, une récente enquête nationale menée par Environics a révélé que les Canadiens étaient davantage favorables aux immigrants et aux réfugiés par rapport à l'année écoulée, et qu'ils considéraient que les immigrants étaient bons pour l'économie et qu'ils amélioraient le Canada. D'autre part, un autre sondage réalisé par des chercheurs de la McMaster University a révélé qu'en raison des conditions créées par la pandémie, les Canadiens pourraient ne pas être aussi accueillants à l’égard des immigrants que par le passé. Dans ce sondage, bien que la majorité ait déclaré que leurs attitudes n'avaient pas changé, certains répondants ont indiqué que leur attitude par rapport à l'immigration s'était durcie depuis le début de la pandémie. En outre, lorsque la thématique des niveaux d'immigration post-pandémie a été abordée, la majorité des répondants ont déclaré que le nombre de nouveaux immigrants au Canada devrait être réduit, et seulement un sur cinq environ a déclaré que l'immigration devrait être un élément clé de la stratégie de relance économique du Canada.

Certains chercheurs ont affirmé qu’étant donné que les préoccupations se tournaient davantage vers d’autres domaines prioritaires que l’immigration, les attitudes à l’égard des immigrants ne seraient probablement pas affectées par la pandémie. Toutefois, ces autres priorités et préoccupations pourraient renforcer les attitudes opposées à l’immigration. Nous savons que nombre des conditions créées par la pandémie, notamment les sentiments d'anxiété généralisée, le manque de contrôle et les menaces pour la santé et le bien-être financier, peuvent susciter des attitudes anti-immigration. À titre d’exemple, si les immigrants sont perçus comme des concurrents des Canadiens pour les ressources rares, telles que les emplois, comme l'a affirmé le Premier ministre de l'Alberta, des attitudes négatives pourraient émerger.

La pandémie a également accentué les manifestations racistes à l'égard des immigrants. Un sondage Angus Reid réalisé auprès de Canadiens d'origine chinoise (dont plus de la moitié sont nés à l'étranger) a révélé qu'environ un tiers d'entre eux avaient eu l'impression de menacer la santé et la sécurité d'autrui, et un pourcentage alarmant de 30 % ont déclaré avoir été personnellement menacés ou intimidés. Une autre enquête menée par Statistique Canada a révélé que les immigrants étaient particulièrement susceptibles de craindre la stigmatisation liée à la COVID-19, notamment d'être la cible d'actes ou de comportements non désirés ou d’intimidation.

Notre avenir dépend de l'immigration et le Canada est un chef de file mondial grâce à ses possibilités de réinstallation offertes aux réfugiés qui en ont besoin. Récemment, le Canada a été considéré comme l'un des pays les plus accueillants au monde. Cependant, cela n'a pas toujours été le cas et rien n’est garanti pour l'avenir. Nous devons rester vigilants quant à l'attitude des Canadiens à l'égard des immigrants, et travailler activement pour la réduction du racisme qu’ils subissent. Afn que notre pays reste une nation accueillante pour les immigrants en ces temps difficiles, les politiciens et les médias, ainsi que la population canadienne, doivent clairement promouvoir des attitudes accueillantes et ne pas attiser les flammes de la suspicion et de l'hostilité.

Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 6 novembre 2020.

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