Les drogues psychédéliques sont présentées comme une solution potentielle aux besoins croissants en santé mentale. Mais les champignons magiques ne sont pas une solution magique. (AP Photo/Peter Dejong)
Erika Dyck, University of Saskatchewan
En Alberta, il sera désormais possible d’ajouter la thérapie assistée par les psychédéliques à la liste des traitements offerts pour les troubles de santé mentale.
Les psychiatres et les législateurs albertains affirment prendre une longueur d’avance en créant une réglementation visant à garantir un usage sûr de substances hallucinogènes dans un cadre thérapeutique. Depuis le 16 janvier, les psychiatres enregistrés et autorisés de la province peuvent les prescrire.
Cette nouvelle politique albertaine pourrait constituer un premier pas vers l’acceptation des psychédéliques comme substances médicinales au Canada. Par le passé, ces drogues étaient principalement recherchées à des fins récréatives et non cliniques. Et, si le cannabis nous a appris quelque chose, c’est que la médicalisation peut mener directement à la décriminalisation et à la commercialisation.
Les drogues psychédéliques – comme le LSD, la psilocybine (champignons magiques), la MDMA (ecstasy) et la DMT (ayahuasca) – sont des substances criminalisées dans la plupart des juridictions du monde. Mais de nombreuses personnes pensent qu’on devrait les considérer pour un usage thérapeutique. À certains endroits, on envisage de décriminaliser complètement les psychédéliques, car des plantes comme les champignons, même « magiques », ne devraient pas faire l’objet de restrictions sur le plan légal.
Après les réformes relatives au cannabis, les psychédéliques pourraient être la prochaine cible dans le démantèlement de la guerre contre les drogues. En décriminalisant le cannabis, le Canada a joué un rôle de pionnier à l’échelle internationale. Mais ses citoyens sont-ils prêts à avoir le même rôle dans le cas des psychédéliques ?
Premières recherches sur les psychédéliques
Le Canada a déjà fait office de précurseur. Dans les années 1950 et 1960, des chercheurs ont lancé la première vague de la science psychédélique. Parmi eux se trouvaient des psychiatres canadiens qui ont inventé le mot « psychédélique » et fait la une des journaux avec des percées spectaculaires dans le traitement de l’alcoolisme par le LSD.
Des thérapeutes de Vancouver ont également utilisé le LSD et la psilocybine des champignons pour traiter la dépression et l’homosexualité. Si l’homosexualité était considérée à la fois comme illégale et comme un trouble de santé mentale jusqu’à la fin des années 1970, les thérapeutes psychédéliques ont lutté contre ces étiquettes, car les personnes qu’ils ont traitées pour une attirance envers le même sexe développaient une meilleure acceptation de soi – ce qui se trouvait en ligne avec le mouvement des droits des personnes homosexuelles.
Vers la fin des années 1960, malgré des rapports positifs sur leurs bénéfices cliniques, les psychédéliques étaient surtout réputés pour leur usage récréatif et pour avoir donné lieu à des abus sur le plan clinique. En effet, les drogues psychédéliques étaient passées du stade des essais pharmaceutiques à la culture populaire, et certains chercheurs s’étaient vu reprocher des pratiques contraires à l’éthique.
Réglementation et criminalisation
La plupart des psychédéliques autorisés ont cessé de l’être dans les années 1970, en raison d’une série d’interdictions réglementaires et d’un ressac culturel. Dans les rapports de santé publique publiés depuis les années 1970, les psychédéliques ont été décrits comme des objets de recherche non éthiques, entraînant des abus récréatifs et des risques personnels, comprenant des blessures et même la mort.
Des chimistes clandestins et des consommateurs ont essayé de lutter contre cette image en déclarant que les substances psychédéliques donnent lieu à des révélations sur le plan intellectuel et spirituel et qu’elles stimulent la créativité.
Un peu partout dans le monde, on a criminalisé les psychédéliques, que ce soit pour la recherche clinique ou l’expérimentation personnelle. L’utilisation des plantes hallucinogènes par des Autochtones et des non-Occidentaux remonte encore plus loin dans l’histoire. Elle a également fait l’objet d’un contrôle juridique en raison de l’effet conjugué des pressions coloniales visant l’assimilation et d’une guerre contre les drogues qui ne faisait pas de distinction entre pratiques religieuses et comportements toxicomanes.
Le retour des psychédéliques
À l’heure actuelle, la recherche scientifique sur les psychédéliques accuse toujours un retard par rapport à l’enthousiasme que génèrent ces substances dans le grand public. (AP Photo/Peter Dejong)
Au cours de la dernière décennie, les lois interdisant les psychédéliques ont commencé à s’assouplir. La Food and Drug Administration américaine a accordé le statut de traitement innovant à la MDMA et à la psilocybine, en se fondant sur les résultats d’essais cliniques portant respectivement sur le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et la dépression résistante.
Santé Canada a accordé des exemptions pour l’utilisation de la psilocybine chez les patients en fin de vie souffrant d’anxiété et a approuvé des fournisseurs et des thérapeutes intéressés par la psychothérapie assistée par les psychédéliques. Des programmes de formation en thérapie psychédélique font leur apparition partout au Canada, en prévision sans doute d’un changement de réglementation et étant donné le manque de professionnels qualifiés pour pratiquer dans ce domaine.
À l’heure actuelle, la recherche scientifique sur les psychédéliques accuse un retard par rapport à l’enthousiasme que génèrent ces substances dans le grand public. On peut trouver de nombreux témoignages de célébrités et récits de patients convaincus.
Pendant ce temps, le fardeau des troubles de santé mentale continue de surcharger nos systèmes de soins de santé. Les psychédéliques sont présentés comme une solution possible. Mais les champignons magiques ne sont pas des solutions magiques.
Au-delà des besoins thérapeutiques
Depuis toujours, les substances hallucinogènes ne sont pas faciles à classer : médicaments, stimulants spirituels, toxines, substances sacrées, drogues pour rave, etc. Que Santé Canada, ou la province de l’Alberta, choisisse ou non de considérer les psychédéliques comme des options de traitement, ces substances psychoactives continueront d’attirer les gens en dehors des cadres cliniques.
Le Canada a la possibilité de jouer un rôle de précurseur dans ce que certains appellent la renaissance psychédélique. Cela pourrait constituer une occasion d’investir dans des solutions durables de réduction des risques et dans l’inclusion des perspectives autochtones, plutôt que de nous précipiter pour introduire les psychédéliques sur le marché médical.
Les pratiques autochtones liées aux plantes sacrées ne se limitent pas à la consommation de substances, elles comprennent aussi une préparation, une intention et une intégration, le tout souvent structuré dans un contexte rituel qui concerne autant la santé spirituelle que la santé physique ou mentale.
Cette approche est difficile à inscrire dans la loi canadienne, et il n’est pas évident de décider qui doit être responsable de la réglementation ou de l’administration de rituels qui se situent en dehors de notre système de soins de santé. Ces différences dans la façon dont nous concevons la valeur des psychédéliques offrent la possibilité de repenser la place du savoir autochtone dans nos systèmes de santé.
Nous sommes bien placés pour adopter une attitude sobre face à l’engouement pour les psychédéliques, qui a été motivé en grande partie par des intérêts financiers, et pour réfléchir aux aspects de l’expérience psychédélique que nous voulons préserver.
C’est peut-être le moment de réinvestir dans nos institutions publiques pour faire en sorte que les psychédéliques ne deviennent pas simplement une autre option pharmaceutique qui profite aux investisseurs privés. Cela peut aussi être l’occasion de réfléchir à la façon dont la guerre contre les drogues a nui aux individus et aux communautés et de trouver comment établir un meilleur rapport avec les produits pharmaceutiques.
Erika Dyck, Professor and Canada Research Chair in the History of Health & Social Justice, University of Saskatchewan
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
« Voix de la SRC » est une série d’interventions écrites assurées par des membres de la Société royale du Canada. Les articles, rédigés par la nouvelle génération du leadership académique du Canada, apportent un regard opportun sur des sujets d’importance pour les Canadiens. Les opinions présentées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de la Société royale du Canada.