RECHERCHE RÉSILIENTE
Bev Holmes et Sharon Straus | 17 août 2020
La COVID-19 teste la capacité du système de recherche en santé du Canada à fournir rapidement des preuves pertinentes, utilisables et indispensables. Elle offre également une occasion unique de renforcer le système pour l'avenir.
La COVID-19 teste la société canadienne à de nombreux niveaux, révélant les forces et les faiblesses des individus, des communautés et des systèmes publics.
En tant que cliniciens-chercheurs et bailleurs de fonds étudiant la production et l'utilisation de données probantes, nous sommes attentifs à la façon dont le système de recherche en santé du Canada fait face à la COVID-19.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, un système de recherche en santé est constitué des personnes, des institutions et des activités qui génèrent des connaissances hautement qualitatives afin de promouvoir, de rétablir ou de maintenir la santé. Ces systèmes sont cruciaux en période de crise sanitaire, lorsqu’il est nécessaire de produire rapidement et en permanence des données probantes sur les diagnostics, les traitements, les mesures de santé publique et les vaccins en vue de prendre des décisions urgentes.
Le système de recherche en santé du Canada, un ensemble complexe et décentralisé d'institutions, de réseaux et de ministères fédéraux et provinciaux, est-il à la hauteur face à la COVID-19 ? Nous pouvons nous réjouir sur certains points, mais des améliorations sont également nécessaires. Par rapport à de nombreux pays, il est généralement considéré que le Canada détient des données probantes, à savoir l'ensemble des faits ou des informations disponibles indiquant la véracité et la validité d’une croyance ou d’une proposition. Cela étant, cette considération n'est pas accompagnée d'une reconnaissance de ce qui est nécessaire pour produire et utiliser efficacement les données probantes.
Un certain nombre de commentaires ont porté sur la mauvaise qualité de certaines données liées à la COVID-19, en partie en raison de la rapidité avec laquelle elles avaient été produites et diffusées. La pandémie a mis en évidence deux autres défis relatifs au système de recherche : le manque de communication entre les producteurs de données et les utilisateurs, et la résilience du système de recherche lui-même, y compris la formation des scientifiques faisant progresser les connaissances dans des domaines essentiels.
Une meilleure communication entre la production et l'utilisation des données sanitaires est nécessaire
L'élaboration de données pertinentes, et surtout utilisables, nécessite, entre autres, la contribution de leurs utilisateurs. Cette contribution dépend à son tour d'une série de facteurs, notamment des relations établies, du temps, du financement, des incitations appropriées et des infrastructures.
Ces dernières années, le Canada a fait des progrès dans la mise en relation des chercheurs et des utilisateurs de recherche. Nous disposons d'agences pancanadiennes, telles que l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (ACMTS) et le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments, qui rassemblent les connaissances en réponse aux demandes des cliniciens et des décideurs. Nous disposons d'un réseau de bailleurs de fonds fédéraux et provinciaux qui soulignent l'importance des projets de recherche dont les résultats seront pertinents et applicables. Nous disposons également de plus en plus de mécanismes visant la participation du public et des patients à la recherche.
La réponse de la recherche canadienne face à la COVID-19 bénéficie de ces progrès, mais révèle certaines lacunes. À titre d’exemple, si le financement offert par les niveaux fédéral et provincial pour une réponse rapide à la crise a fait l’objet de nombreuses études, il n'est pas toujours évident de connaitre les méthodes d’élaboration et de hiérarchisation des problématiques de recherche, ni leurs auteurs. Bien sûr, nous avons entendu dire que les patients et les soignants avaient demandé à être davantage impliqués dans la recherche sur la COVID-19. Il existe également une duplication inutile de certaines études - y compris de nombreuses synthèses de connaissances sur les mêmes interventions potentielles de la COVID-19 - et un manque d'études dans certains domaines importants, tels que les conséquences involontaires des mesures de santé publique sur des populations spécifiques, comme les personnes sous traitement de longue durée et les itinérants.
Il est important de souligner que ce type de lacunes n'est pas propre à la COVID-19, mais est plus généralement dû à des problèmes pouvant être résolus au sein de notre système de recherche actuel.
À titre d’exemple, les chercheurs sont encouragés à publier des articles et à obtenir des subventions, mais pas à établir des relations à long terme avec les décideurs et les communautés qui mèneraient à des recherches pertinentes et utilisables. De même, les cliniciens et les décideurs du système de santé ne sont pas toujours encouragés à s'engager dans la recherche, et ce malgré les preuves de plus en plus nombreuses des bénéfices obtenus lorsque la recherche était menée parallèlement à la pratique. Nous devons améliorer les liens entre les chercheurs et les décideurs, entre et au sein des provinces et des territoires, impliquer les communautés touchées ou intéressées, en particulier lors des crises sanitaires, et soutenir les systèmes de santé afin d’étudier et d’améliorer les soins des malades.
Nous devons bâtir la résilience de notre système de recherche
Le Canada possède d'excellentes universités et instituts de recherche, des chercheurs de renommée mondiale et des stagiaires talentueux, des bailleurs de fonds fédéraux et provinciaux qui les soutiennent, ainsi que des gouvernements et des citoyens réceptifs à la recherche. Nous pouvons être fiers de notre réponse collective en matière de recherche relative à la COVID-19 qui, grâce à ces atouts, cherche des réponses à des questions vitales liées à la pandémie.
Malheureusement, les atouts mêmes qui permettent cette réponse sont menacés. L'arrêt de nombreuses études qui ne portaient pas sur la COVID-19, ordonné par le gouvernement fédéral en date du 15 mars, a interrompu l'avancement des connaissances dans des domaines essentiels et a sérieusement réduit une source importante de revenus pour la recherche. Il a également compromis les talents qui se trouvent à la base d'un système de recherche. En effet, on estime que 80 % du personnel de recherche de certains instituts, y compris les spécialistes de la recherche fondamentale qui ne peuvent pas travailler à distance et les chercheurs en milieu clinique et communautaire qui dépendent du contact direct avec les gens, n'a pas pu poursuivre ses études. La fermeture a été particulièrement difficile pour les chercheuses ayant des responsabilités en matière d’administration de soins. Des études démontrent qu'elles publient moins et qu'elles soumettent moins de demandes de subventions que leurs homologues masculins. La carrière de milliers d'étudiants diplômés et de nouveaux chercheurs, qui consacrent leur avenir à l'amélioration de la santé, est en suspens. Les conséquences sur les cliniciens-chercheurs, en particulier ceux en début de carrière, ont été importantes en raison de l'augmentation des exigences médicales.
Nous vivons une époque inhabituelle, et l'interruption de la recherche a sans conteste été entreprise pour de bonnes raisons. Des mesures sont mises en place par les universités, les gouvernements et les bailleurs de fonds pour atténuer les répercussions négatives. Il est désormais essentiel d'examiner ce que nous faisons correctement et ce qui aurait pu être fait différemment, et de prendre pleinement en compte les conséquences de la COVID-19 sur le système de recherche en santé du Canada pour l'avenir.
Il est temps d'agir
Au cours des dernières années, plusieurs excellents rapports ont étudié l'utilisation des données probantes, la résilience du système de recherche en santé et d'autres éléments du système de recherche canadien. Parmi leurs recommandations figurent une meilleure coordination de la recherche entre les provinces, les territoires et le fédéral, la reconnaissance de l'engagement auprès de décideurs dans la promotion des chercheurs, des stratégies de financement soutenant les chercheurs au cours des différentes étapes de leur carrière, et une politique scientifique abordant les personnes, les infrastructures, la recherche, la culture scientifique et la mobilisation des connaissances. Les stratégies élaborées selon ces recommandations ont de nombreux partisans et peuvent être mises en œuvre.
Nous, c'est-à-dire nous tous qui sommes en mesure d'influencer et de renforcer le système de recherche du Canada, devons réexaminer les recommandations existantes à propos des talents, des processus et des infrastructures de recherche à la lumière de la pandémie, et agir en conséquence, non seulement pour le bien de notre système de recherche en santé, mais aussi pour la santé des Canadiens.
Bev Holmes est PDG de la Michael Smith Foundation for Health Research en Colombie-Britannique. Bholmes@msfhr.org 604 839 2948
Sharon Straus est gériatre en Ontario et titulaire d'une Chaire de recherche du Canada en application des connaissances
Sharon.straus@utoronto.ca
Cet article fut initialement publié dans le Globe and Mail le 6 Août 2020.