La COVID-19 est la première pandémie mondiale à l’ère du numérique
Chad Gaffield | 17 avril, 2020
La COVID-19 est la première pandémie mondiale à l'ère de la généralisation des médias sociaux sur les appareils mobiles, des mégadonnées et de l'intelligence artificielle.
Le maintien des politiques de distanciation sociale dépend d'une connectivité numérique efficace pour les systèmes de soins de santé, les entreprises, les écoles et, en fait, la plupart des facettes de la vie quotidienne.
La difficulté réside dans le fait que les tsunamis de mégadonnées et le calcul informatisé de haute performance offrent à la fois des possibilités sans précédent, mais engendrent également des défis qui ne correspondent pas aux nombreuses politiques et pratiques du 20e siècle. L'utilisation de l'informatique dans toute la société, y compris en médecine et à l'école, a commencé dans les années 1950 et 1960. Malgré des progrès technologiques rapides réalisés au fil des décennies, personne n'avait anticipé le besoin urgent de compter sur des capacités virtuelles en l'absence de tout contact physique au sein d’une société. Comme nous le constatons aujourd'hui, il est de plus en plus difficile de répondre à ce besoin, notamment dans les domaines de la santé, de l'enseignement et du bien-être.
Deux leçons importantes, et très pertinentes à l’heure actuelle, peuvent être tirées des pandémies précédentes. Premièrement, nous devons nous préparer aux pandémies, car elles se reproduiront. Aujourd'hui, cette préparation doit inclure un plan solide pour passer complètement ou principalement au virtuel à court terme afin de soutenir les politiques de distanciation sociale.
Deuxièmement, les pandémies ont généralement des conséquences différentes au sein des sociétés et d'une société à l'autre. Bien que les taux de mortalité soient rarement identiques d'une collectivité publique à l'autre, le schéma général indique clairement une exposition accrue des populations vulnérables au risque d'infection potentiellement mortelle.
L’importance de ce schéma est renforcée à l'ère du numérique. L'histoire de l'informatique montre que les technologies numériques peuvent rapidement multiplier et amplifier les conséquences sociétales, tant positives que négatives, des actions humaines. Alors que les enthousiastes ont souvent fait la promotion des technologies numériques en tant que facteurs de nivellement social, les cinquante dernières années démontrent qu'elles accélèrent et creusent souvent les inégalités courantes.
Le Rapport mondial sur les sciences sociales 2016 a conclu que « le monde tend vers des niveaux élevés d'inégalités ». En 2019, l’International Science Council avertissait le monde : « Nous risquons d’accroitre la fracture numérique et les inégalités et de concentrer le pouvoir entre les mains des personnes bénéficiant de technologies avancées, ce qui se répercutera sur le développement durable, l’efficacité des démocraties et les droits civils. » Dans leur déclaration 2018 sur notre avenir numérique, les Académies nationales des sciences du G7, sous la direction de la Société royale du Canada, déclaraient que « un des défis principaux de notre époque est la maîtrise de cette vague de chambardement généralisé afin de veiller à la répartition équitable des avantages, de remédier aux vulnérabilités et aux effets indésirables, et de limiter la croissance des risques. »
Ces leçons d'histoire dominent mes pensées ces derniers temps, et ce de manière inattendue. Bien que j'utilise les technologies numériques depuis les années 1970 pour étudier les changements sociodémographiques et que je donne des cours à l’université sur des sujets tels que l'histoire des catastrophes et la création de l'ère du numérique, je n'avais jamais imaginé qu'il était nécessaire de combiner la distanciation sociale à l'échelle de la société et la connectivité virtuelle d'urgence. Cette urgence rappelle l'importance de réfléchir à l'histoire des pandémies et des technologies numériques pour contribuer à la prise de décisions opportunes qui permettent d’anticiper et d’éviter des conséquences négatives bien connues.
La COVID-19, comme les pandémies précédentes, met clairement en évidence les failles de la société. Les maladies contagieuses peuvent toucher n’importe qui, mais elles le font différemment en fonction des circonstances. Le schéma habituel nous amène à des conséquences négatives plus importantes sur les populations déjà vulnérables pour d'autres raisons, notamment la pauvreté et les préjugés. Des études récentes sur la grippe de 1918 soulignent systématiquement une relation complexe entre les conséquences de la pandémie et les différences sociales pour expliquer les divers taux de mortalité au sein de groupes distincts situés dans des endroits différents. De manière générale, les pauvres ont subi la mortalité pandémique la plus élevée en raison d'une plus grande densité résidentielle, d'une nutrition moindre et d'autres inégalités.
De même, des schémas complexes apparaissent maintenant en temps réel pour la COVID-19. Les épidémies fréquentes au sein des populations âgées, dont le nombre est aujourd'hui sans précédent, soulignent l'importance d'accorder une attention particulière aux groupes vulnérables, notamment ceux vivant dans des environnements denses.
Le 8 avril 2020, en faisant le point sur l'Inde, le New York Times soulignait que « le principal facteur à l’origine de la propagation de la pandémie dans les bidonvilles est le manque de considération accordée à ces populations marginalisées par les élites dirigeantes. »
Les rapports mettent de plus en plus en lumière le risque supplémentaire encouru par les minorités visibles vivant dans les quartiers pauvres. Le 6 avril 2020, l'Associated Press notait déjà que « le nombre de décès lié au coronavirus à Chicago au sein de la population noire alarme les villes américaines. » Les experts de la santé publique n'ont pas été surpris étant donné les « obstacles aux soins de santé qui existent depuis des décennies dans cette ville géographiquement divisée », où les habitants des quartiers sud et ouest ont « un accès plus restreint aux soins de santé, des taux de pauvreté plus élevés et des emplois qui les obligent à continuer à venir physiquement au travail alors que d'autres peuvent travailler à domicile. »
En Norvège, le Prof. Svenn-Erik Mamelund, spécialiste de la démographie des maladies épidémiques, déplorait en 2018 que « les plans internationaux de préparation aux pandémies n’abordent pas les inégalités sociales. »
Comment pouvons-nous rompre le schéma historique des pandémies, dont les résultats sont toujours liés à la différenciation sociale ? Une étape clé serait la maîtrise, dans toute la mesure du possible, des données et des technologies numériques pour affronter la différenciation plutôt que d'accroître les inégalités en remplaçant la présence physique. Malheureusement, même l’étude des schémas sociétaux grâce aux technologies numériques reste un travail en cours. Dans les pays privilégiés comme le Canada, la comparaison des données de santé entre les institutions et les collectivités nécessite encore souvent des efforts intenses de la part de nombreuses personnes pour contrôler les différentes conséquences du COVID-19 au sein et entre les collectivités.
En outre, les systèmes de soins de santé ne sont pas encore en mesure de garantir à tous un accès à l’assistance en ligne, en particulier, peut-être, pour les personnes qui en ont le plus besoin. Malgré la mise en place de technologies numériques dans le domaine de la médecine qui ont changé la vie des patients, la COVID-19 nous rappelle que les soins de santé reposent encore, dans presque tous les cas, sur la présence physique. Le 9 avril 2020, le New England Journal of Medicine admettait que « en tant que système analogique, les soins de santé sont mal équipés pour faire face à cette épidémie qui émerge rapidement. » Trois mois plus tôt, Options politiques, soulignait que « les Canadiens veulent des solutions numériques en matière de soins de santé, mais le système est à la traîne. Nous avons besoin d'une stratégie nationale d’innovation en soins de santé numérique. »
Les études sur les pandémies passées révèlent également le reflet des conséquences différentiées sur les personnes implicitement et explicitement blâmées. Jusqu'à récemment, par exemple, une grippe spécifique était généralement connue sous le nom d'espagnole ou de Hong Kong, plutôt que sous l'appellation scientifique caractéristique d'aujourd'hui.
De même, les pandémies ont mis en évidence les préjugés ethnoculturels des leaders de la société. En 1832, l'évêque de Montréal soulignait la gravité de l'épidémie de choléra en termes d' « invasion de nos terres arables par des immigrants britanniques qui menacent de nous chasser de notre pays et de réduire notre population « canadienne », année après année, par la propagation de la maladie. »
Des opinions ethniques et racistes liées au COVID-19 ont été rapportées et fleurissent désormais sur les médias sociaux. Le 11 mars, Bill de Blasio, maire de New York, indiquait que « en ce moment, nous constatons des cas particulièrement troublants de discrimination à l’encontre des communautés asiatiques, notamment la communauté chinoise. » Il a insisté sur le fait que « c'est inacceptable. »
Le 4 avril 2020, Global News rapportait que la communauté juive de Montréal s'était sentie ciblée pendant l'urgence liée au COVID-19, à la fois en raison de plaintes non fondées concernant des rassemblements, mais aussi par des réactions excessives de la police en réponse à ces plaintes. Le Rabbin Reuben Poupko aurait eu le sentiment que « trop de gens blâment injustement la communauté juive de Montréal pour la propagation du virus. »
Le défi consistant à combiner la distanciation sociale, la connectivité numérique et l'équité sociale va bien au-delà des soins de santé. Les écoles s'efforcent également d'optimiser les approches numériques ne comportant pas d'interactions en face à face. À la lumière des résultats modestes obtenus avec l'apprentissage en ligne, les enseignants ont mis au point des programmes interactifs hybrides novateurs qui visent à intégrer le meilleur des ressources virtuelles et physiques de multiples façons pour répondre aux besoins des étudiants. La plupart des établissements n’ont pas tenté d’élaborer des programmes complets d'apprentissage en ligne.
La période d'urgence actuelle exige des efforts particuliers pour garantir l’accessibilité pour tous aux cours qui ont dû rapidement être conçus de manière numérique, en particulier pour ceux qui comptaient sur les installations informatiques des écoles. L'histoire de la technologie indique que les familles d’intellectuels bénéficient d’avantages évidents qui pourraient s'accroître avec l’évolution de la pandémie de COVID-19.
Ces exemples suggèrent que le schéma historique selon lequel les pandémies ont des conséquences sociales différentes au sein des sociétés peut perdurer et peut-être s'aggraver si aucune attention particulière n’est accordée aux fractures numériques créées dans le cadre du COVID-19. Nous devons en apprendre le plus possible dès maintenant, pour améliorer les politiques et les pratiques en vue de la prochaine fois, inévitable, où le succès de la distanciation sociale dépendra de la connectivité numérique de la société. Ce faisant, nous devrions également être en mesure de développer des moyens plus équitables d'intégrer la présence virtuelle et physique afin de bâtir des sociétés plus saines et plus résistantes.