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Simon Langlois et Florian Sauvageau | 6 mai 2021

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Les auteurs sont professeurs émérites de l’Université Laval.

La désinformation et les fausses nouvelles, très répandues aux États-Unis, sont aussi présentes au Québec où un peu plus de 20% des répondants à notre enquête, menée en novembre dernier avec la firme CROP et le Centre d’études sur les médias, n’hésitent pas à dire leur accord avec diverses affirmations pour le moins douteuses qui circulent sur Internet. Ces « désinformés » vivent dans une bulle d’information, alimentée par les médias sociaux (Facebook, You Tube et Twitter) qu’ils privilégient pour s’informer sur l’actualité. Nos données nous permettent, pour la première fois, à notre connaissance, non seulement d’évaluer l’ampleur du phénomène au sein de la société québécoise, mais d’en décrire les contours. Qui sont ces « désinformés ? Comment leur diète d’information contribue-t-elle au phénomène?

Mesurer la désinformation

Quatre énoncés choisis parmi des informations sans fondement largement répandues sur la COVID-19 ou attribués au groupe QANON, généralement qualifiés de théories « complotistes », ont été soumis à un échantillon représentatif de la population québécoise (N = 1000). Voir le tableau. Une proportion appréciable de répondants, plus de 20%, se sont dits soit très ou assez en accord avec ces idées non fondées, souvent farfelues. Un noyau dur estimé à environ 7 % des répondants les partagent sans réserve. Ces chiffres, qui coïncident avec les résultats d’autres enquêtes, témoignent de l’ampleur des croyances approximatives qui circulent au Québec.

Aux fins de l’analyse, nous avons construit un indice regroupant les quatre questions en pondérant les choix de réponses (3 points à la réponse Très en accord, 2 à Assez en accord, 1 à Assez en désaccord et 0 à Très en désaccord). Les scores sur l’indice varient de 0 (rejet des opinions fausses) à 12 (acceptation sans réserve). Nous avons constitué quatre groupes de personnes, selon qu’elles rejettent sans réserve les quatre énoncés douteux (Groupe 1) jusqu’au groupe qui les accepte sans hésitation (Groupe 4).

Les jeunes (18-34 ans) sont nettement plus nombreux à adhérer à ces idées nettement contestables. L’écart observé entre les groupes d’âge est considérable et préoccupant. Autour de 40 % des 18-34 ans partagent les quatre opinions problématiques (Groupe 4), alors que la proportion baisse en bas de 10 % chez les répondants âgés de 55 ans et plus. Les « désinformés » se retrouvent aussi chez les répondants ayant le niveau de scolarité et les revenus les plus bas, mais la désinformation sévit dans tous les groupes d’âge, chez les diplômés universitaires comme chez les plus fortunés, à des niveaux toutefois moins élevés.

Les sources d’information   

Les répondants étaient invités à identifier les trois principaux médias fréquentés pour s’informer sur l’actualité. Ces sources d’information ont été regroupées en trois catégories : la télévision, les journaux et les médias sociaux.

Considérons d’abord les médias identifiées par les répondants comme première source d’information. Les personnes du Groupe 4 (désinformées) se tournent surtout vers les médias sociaux, soit près de 40 % d’entre elles, loin devant la télévision. Par contraste, moins de 10% des personnes du Groupe 1 (rejetant les opinions douteuses, selon l’indice)  donnent les médias sociaux comme première source d’information. Les écarts sont une fois encore significatifs et considérables. Sans surprise, les « désinformés » font aussi bande à part quand on les interroge sur la confiance qu’ils accordent à ces mêmes médias sociaux: 46% leur font confiance contre 18% seulement chez les personnes qui rejettent les idées fausses. Nos données confirment de façon nette le mariage annoncé entre la désinformation et les médias sociaux et appuient les analyses qui mettent l’accent sur la bulle d’information.

On ne s’étonnera  pas que les « désinformés » consultent moins souvent les médias traditionnels (télévision, radio et journaux) que les autres répondants à l’enquête. Mais ils regardent tout de même la télévision, le plus souvent TVA, mais aussi LCN, à peu près pas Radio-Canada ou RDI. Les deux chaines du groupe Québecor sont écoutées en proportions relativement égales , comme première source d’information, par les « désinformés » ou les autres, soit autour de 20 % dans chacun de nos quatre groupes pour TVA et autour de 15 % pour LCN.  S’il leur arrive de lire des journaux, les « désinformés » consulteront plutôt Le Journal de Montréal ou Le Journal de Québec que La Presse, ou Le Devoir.

Les médias du groupe Québecor (télévision et journaux) rejoignent tous les groupes de la société et on y trouve tout autant de gens désinformés que de personnes rejetant les énoncés contestables. Radio-Canada, RDI, La Presse ou Le Devoir rejoignent d’abord et avant tout des personnes hostiles aux idées approximatives.

La télévision, TVA en particulier, reste le média que privilégie la majorité des Québécois pour s’informer, mais son rôle de « rassembleur » des dernières décennies est érodé chaque jour un peu plus par les médias sociaux, dont l’influence n’est pas que négative, mais dont la propension à répandre les fausses informations a constitué un monde à part. Alimentés par les amis qui partagent les mêmes angoisses et par les algorithmes qui les inondent d’information de même nature, les « désinformés » s’enferment dans leurs croyances et en viennent à vivre dans un univers parallèle. Celui des faits alternatifs.

Cet article fut initialement publié dans Le Devoir le 30 janvier 2021.

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